- Pierre, lève-toi! La voix de sa mère est un peu cassée comme chaque fois que le père parti elle se met à se tourmenter. Et puis, elle ne l’a pas appelé Pierrou, comme elle le fait lorsqu’elle est heureuse, quand il fait bon à la maison. Il est peut-être cinq heures, le jour est déjà là. Avant de partir à l’école il doit traire les deux vaches, refaire la litière et leur donner du foin. Juste à la jointure entre le toit de chaume et les pénaous (pierres plates disposées en escaliers sur les murs des granges et des maisons de chaume), il entend siffler ce sale vent de printemps qui va ramener la pluie. Ses soeurs et son tout petit frère dorment encore. La voix de la mère, au fond de la salle reprend: - Allons, Pierre, va fermer la porte de la grange, le vent devient de plus en plus mauvais, il va pleuvoir, c’est sûr. Il bouscule Anna et Clémence rien que pour le plaisir de les entendre grogner dans leur sommeil. Les longs cheveux des petites filles sont si emmêlés qu’il a l’idée d’attacher entre elles deux mèches, la sombre avec la claire. Quand elles se lèveront, ces deux pies auront du mal à se défaire l’une de l’autre. Il rit en enfilant son pantalon sur la grande chemise rêche. La mère a déjà allumé le feu. Pierre avale un grand bol de lait. La maison grince, gémit. Un volet décroché bat. - Sale temps! - Oui, souffle Jeanne, sa mère. Ils ne seront peut-être pas partis! - S’il a eu le temps de voir venir l’orage, papa aura retenu son client.