Tout l’après-midi, les rafales de vent mêlées de
pluie giflent les fenêtres de l’école.
L’instituteur a sorti son herbier du grand placard où il le range
avec beaucoup de précautions comme une chose très chère.
Il aurait voulu conduire les enfants sur le chemin du cirque où il a
découvert, la veille, les premières soldanelles. Le temps mauvais
ne lui permet pas ce plaisir.
Devant l’herbier, Pierre est imbattable. Il a vite fait de reconnaître
la ramondia ou la gentiane bleue. Mais aussi le daphné, cette petite
fleur toute pâle dans le cahier et qui au plein coeur de l’été illumine
d’un rose violent la mousse des plateaux. Tous s’exclament sur
la plante carnivore qui mange les insectes en les emprisonnant dans ses feuilles
poisseuses.
L’heure de la sortie est vite là. Il neige maintenant comme au
plein coeur de l’hiver.
Le béret enfoncé jusqu’aux oreilles, le capuchon rabattu,
Pierre descend vers l’école des filles. Anna tient solidement
Clémence par la main comme si elle craignait que le vent violent la
lui arrache.
- Papa ne sera pas monté au Vignemale, il sera rentré, hein Pierrou
?
En voilà une autre qui voudrait bien qu’on la rassure, pense Pierre
en haussant les épaules:
- On verra bien.
Ils longent le gave, cramponnés les uns aux autres. Le cirque est complètement
bouché. On ne distingue que les toits des maisons et des granges, dont
le chaume vire au gris sous la neige mouillée.
Un vent coulis soulève son capulet et Clémence frissonne. Les
flocons se sont accrochés à ses sourcils et sur son front à la
lisière des cheveux. On dirait une vieille petite fille.
- Eh! mémé Clémence, tu ne vas pas te remettre à tousser
? la taquine son frère.
Il la réchauffe à coups de petites tapes dans le dos.
Enfin ils traversent le pont de Nadaou. La maison n’est pas loin.
La porte poussée, ils devinent vite que le père n’est pas
rentré.
- Il n’est pas revenu, dit leur mère.
- Ils seront restés au refuge, répond Pierre en se mentant à lui-même.
- Les chèvres sont redescendues lorsqu’elles ont senti la neige.
Il faut que tu ailles les enfermer, Pierre. Mais avant mange un peu de pastet.
- Mais c’est trop tôt!
- Ce sera fait, dit Jeanne avec lassitude.
Tandis qu’Anna s’occupe de petit Jean, Pierre retrouve la grange
que les chèvres ont envahie. Lui aussi maintenant est inquiet. Le travail
des bêtes, il le connaît tant, qu’il peut continuer à penser
tout en leur donnant leur ration de foin. Et ce qu’il pense ne le tranquillise
pas: puisque son père n’est pas rentré, c’est qu’il
a décidé de « faire » le Vignemale.
Quand il sort de la grange, la neige a cessé de tomber et le vent s’est
calmé. Aussitôt, Pierre se sent mieux. Le ciel va s’éclaircir
et Antoine aura bien le temps de rentrer avant la nuit.
Mais la nuit est bientôt là. Jeanne lui dit alors:
- Tu devrais aller chez Joseph, il saura peut-être quelque chose.
Joseph est porteur, au plus fort de l’été. Il est aussi
le meilleur compagnon d’Antoine, son second pour les grandes courses.