Le soleil bascule, prêt à se laisser aller à la renverse dans les nuées du Vignemale.
Il faut redescendre.
A regret les deux garçons abandonnent les cimes.
Ils sont très vite au bord du petit étang que Pierre a dédaigné en montant. Ils s’éclaboussent d’eau pure, redeviennent des enfants légers, libérés de la peur.
Lorsqu’ils atteignent le refuge, le soleil n’est déjà plus qu’un souvenir. Ils ne font là qu’une halte très courte, juste pour manger un peu, avant de commencer la difficile descente du couloir glacé.
- On y va?
-Oui.
Pierre s’engage dans la pente raide. Il fait quelques pas, suivi de près par Jacques.
Ils se sentent si remplis de sensations nouvelles qu’ils vont comme font les rêveurs, les yeux au vent.
Jacques sent soudain ses jambes faiblir. Pour trouver une trace, il fait une enjambée trop large... son pied glisse... il pousse un cri.., ses ongles crissent sur la glace... il ferme les yeux.
En moins de temps qu’il en faut à l’oiseau pour battre des ailes, Pierre s’est retourné. Il a murmuré: « Papa! », comme on crie au secours!
« Si tu dévisses, serre très fort ton piolet, essaie de ne pas le lâcher et enfonce-le dans la glace de toute la force qui te reste. » Ces paroles, il est sûr que son père vient de les lui dire à l’oreille.
Pierre s’est jeté, abattu sur Jacques comme un vautour sur sa proie, la main droite crispée sur le manche du piolet... Contre sa poitrine il entend cogner un coeur assourdissant. Il voit près de lui le visage livide de Jacques, ses lèvres bougent mais il n’entend rien d’autre que ce coeur qui fait un bruit d’enfer.
Le piolet s’est fortement enfoncé dans la glace.
- Ne bouge pas, souffle Pierre à son compagnon.
Et lentement, son corps retenant celui de Jacques, il avance sa main libre en tâtonnant sur la glace jusqu’à trouver une faille. Quand il l’a atteinte, il fait la même chose avec un pied, puis avec l’autre. Alors, doucement, très doucement, il reprend haleine. Pas un instant la voix d’Antoine ne l’a abandonné.
Cela a duré si longtemps qu’ils ont cru voir passer la nuit, pourtant ils ont réussi, prise après prise, à descendre jusqu’au bord de la muraille. Là, contre un ressaut du
rocher, ils se sont reposés sans rien dire, occupés à récupérer leurs forces.
Et puis, parce qu’ils ne sont que des enfants encore et que la vie est belle, ils ont éclaté de rire, ils ont ri sans pouvoir s’arrêter, écroulés de rire.
La nuit est complètement tombée lorsqu’en courant ils descendent les pâturages d’Estaubé. Soudain, Jacques saisit Pierre par la manche tout en continuant sa course, il crie à tue-tête:
- Tu es mon frère maintenant, Pierre, plus qu’un frère!
Devant la porte de la grange, à la clarté de la lune, Maria n’a pas cessé d’écouter la nuit. Elle attend.
Ily a eu d’abord le grincement des grillons dans les hautes herbes, le tintement léger d’une clarine lointaine que couvre à intervalles réguliers le sifflet perçant des marmottes.
Quand les étoiles se mettent à briller plus fort et que la lune monte plus haut dans le ciel, elle frissonne au sanglot déchirant de la hulotte cachée dans le bouleau.
Dans l’herbe coupée, les mulots, ivres d’odeurs, se poursuivent en geignant. Il n’y a pas un souffle de vent, pourtant là-bas, du côté des Gloriettes, c’est bien un chant qui casse le silence, des voix joyeuses qui crient:
- Nous voilà, Maria!