Pierre grandissait comme si le malheur l’avait tiré par les cheveux.
Il n’était pas retourné à l’école,
mais le soir, lorsque le foin sec avait été ramassé et
rentré, il allait retrouver le maître dans la salle de classe
déserte. Le vieil instituteur lui enseignait les plantes et les minéraux.
A lui, Pierre redisait son désir, plus grand encore depuis la mort de
son père, de « faire » guide plus tard. Le maître
aimait beaucoup Pierre. Il voyait en lui un élève intelligent
et doué. Il aurait bien aimé le présenter au certificat
d’études.
Quand ils avaient fini de consulter l’herbier ou d’étudier
un bloc de granit, venait l’heure des récits. Les yeux du garçon
brillaient alors de plaisir. C’était toujours les grandes aventures
de la montagne
- Racontez-moi Ramond, monsieur, et le mont Perdu.
Le maître ne se faisait pas prier:
- C’était au début du siècle dernier, monsieur Ramond
de Carbonnières s’était mis en tête de...
Pierre se laissait envelopper par le rêve. A ces moments-là il
se sentait heureux, presque aussi heureux qu’autrefois. Le mont Perdu,
il le ferait bientôt. II ne pouvait plus résister. Ce désir
fou lui était venu un soir de juillet où, assis devant sa grange
au plateau de Coumélie, il songeait à son père. Antoine,
en lui montrant le sommet fabuleux qui se détachait sur les arêtes
vives des montagnes, lui avait promis: « Lorsque tu auras treize ans,
je te conduirai au mont Perdu. Et même, si tu es plus solide à ce
moment-là, je te ferai passer en tête!»
Il avait eu treize ans la veille...
Antoine n’était plus là mais ses paroles rôdaient
toujours dans la mémoire de son fils: «Je te ferai passer en tête! » Pierre
devait accomplir cet exploit puisque son père l’en croyait capable.
Jacques viendrait avec lui, à eux deux ils y arriveraient. Il était
maintenant bien décidé. Il ne dirait rien à personne.
Pierre avait son plan: au début septembre, il devait aller passer quelques
jours dans la grange de Coumélie pour rentrer le regain et Jacques devait
venir l’aider...