Débats et Films




Deuxième débat du 11 avril 2002 avec le prof de philosophie

Introduction au débat
" Pourquoi nous intéressons-nous aux extra-terrestres ? "


  1. . Historique
    La possibilité d'une vie extra-terrestre est attestée chez Démocrite et Leucippe (première moitié du 5è siècle) qui postulent l'infinité de l'univers et la pluralité des mondes. Les épicuriens reprennent cette cosmologie - la Lettre à Hérodote notamment en témoigne : Les atomes étant en nombre infini, comme cela vient d'être démontré1, sont emportés même aux distances les plus grandes. Et d'autre part, de tels atomes, desquels pourraient naître un monde, ou dont il pourrait être constitué, ne s'épuisent ni en un seul, ni en un nombre fini de mondes, ni dans tous ceux qui sont tels que le nôtre, ni dans tous ceux qui diffèrent de ces derniers. Ainsi, il n'est rien qui fasse obstacle à l'infinité des mondes. (§46)
    On ne saurait démontrer que dans tel monde des germes tels que d'eux se forment les animaux, les plantes et tout le reste de ce qu'on voit, pourraient n'être pas contenus, et que dans tel autre, ils ne pourraient l'être. De même aussi il faut penser qu'ils sont nourris de la même façon que sur la terre. (§74)
    Les matérialistes grecs reconnaissent donc une infinité de mondes dont ils n'excluent pas qu'ils soient habités par des êtres tels que nous, des animaux et des plantes. Entre les mondes existent des intermondes, où vivent les dieux immortels.
    La physique et la cosmologie atomistes seront toutefois supplantées par les pensées d'Aristote et de Platon le monde est unique et fini (la finitude étant une marque de perfection, et l'infinité une marque d'imperfection) : la terre est entourée des sept orbes célestes, puis de la sphère des fixe.
    Aristote ajoute même la distinction entre le monde sublunaire - soumis à la génération et à la corruption, règne par conséquent de la vie animale - et le monde céleste inaltérable, séjour des astres divins, composé du 5è élément : l'éther. Dans le système d'Aristote il n'y a aucune place pour la possibilité même d'une vie extra terrestre.
    Ce système prévaudra jusqu'à Copernic, et même au-delà (puisque Copernic ne remet pas en cause la "sphère des fixes").
    Au Moyen Âge, il semble aussi que le monde "théocentrique" et tourné vers la transcendance pure du "Ciel" divin et du Royaume ne puisse pas faire de place à une "altérité" intérieure au monde, où à l'idée d'un "autre monde" qui ne soit pas précisément le Ciel de Dieu... Au seuil des temps moderne, cependant on voit l'idée de l'univers infini et de la pluralité des mondes refaire surface avec Giordano Bruno qui sera brûlé en 1600 pour avoir attribué à l'univers l'infinité dont Dieu seul devait pouvoir jouir.
    L'idée de l'univers infini s'impose néanmoins, et cela jusqu'à la physique d'Einstein. Après la révolution scientifique du 17è siècle les spéculations sur la vie extra-terrestres vont vraiment pouvoir se donner libre cours. Après Galilée, en effet, la distinction aristotélicienne du sublunaire et du céleste aura fait long feu (donc on peut envisager de la vie ailleurs que sous la lune), et l'affirmation de l'infinité de l'univers favorise l'argument "probabiliste" : si l'univers est infini il y a des chances (même une infinité!) que la vie existe ailleurs.
  2. . Evolution littéraire
    1. . Les premiers "extra-terrestres"
      Ils apparaissent avec des auteurs comme Cyrano de Bergerac (1619-1655) qui imagine un voyage vers la lune (1650 : L'autre monde), puis Fontenelle qui pose la question de l'existence d'êtres extra-terrestres dans les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). Citons encore le cas du Micromégas de Voltaire : un habitant d'un satellite de Sirius qui entreprend un voyage interstellaire qui le conduira jusqu'à Saturne, Jupiter, Mars, puis enfin la Terre.
      Dans ces premiers récits nous avons affaire à des anthropomorphes à fonction satiriques et allégoriques : les "extra-terrestres" c'est nous! On décrit des être imaginaires qui nous renvoient à nous-mêmes.
    2. . Il faut attendre le 19è siècle...
      Il faut attendre le 19è siècle et des auteurs comme l'astronome Camille Flammarion (1865 Les mondes imaginaires et les mondes réels ; 1892 : La planète Mars et ses conditions d'habitabilité), puis H. G. Welles (La guerre des mondes : 1892) pour entrer dans la manière moderne - scientifique et para, ou pseudo - scientifique d'envisager la vie extra-terrestre.
      1. première évolution : La théorie de l'évolution a permis d'imaginer des extra-terrestres intelligents non humanoïdes (suite à l'idée de ramifications divergentes). Il semblerait que cette première génération d'extra-terrestres - monstrueux et hostiles (envahisseurs... etc..) - renvoie à la peur des monstres, et notamment à) la monstruosité humaine elle-même. Les poulpes de Wells, les monstres à base d'insectes, d'invertébrés, crustacés... etc... évoquent les anciens bestiaires mythologiques (sirènes, gorgones, méduse...) et les monstres médiévaux (griffons, dragons...) et leur fonction de définition du "normal". Les extra-terrestres envahissants paraissent anormaux et méchants => nous, nous sommes gentils et normaux.
      2. seconde évolution : Il faut attendre 1934 pour rencontrer sous la plume de Stanley Weinbaum (L'Odyssée martienne) des extra-terrestres bienveillants. Maintenant les extraterrestres sont essentiellement différents, ou autres. Plus ils sont autres, plus ils sont extraterrestres : les auteurs imaginent des cultures fondées sur des psychologies entièrement différentes de la nôtre, des êtres sphériques, voire nébuleux ou immatériels qui peuvent entrer dans des corps humains... A la limite la communication avec eux va devenir impossible, mais ils ne sont pas soit bienveillants soit hostiles, mais plutôt des projections de la diversification humaine elle-même, que l'éclatement du concept d'"homme" réalisé par les sciences humaines et la biologie (Éloge de la différence) a rendu possible.
  3. . Problème général
    Il ressort assez nettement de tout ceci que les extra-terrestres sont fondamentalement des miroirs de l'image que l'homme se fait de lui-même : entre deux extrêmes que sont : le rapport de force entre êtres étrangers les uns aux autres (dont les uns sont naturellement ou technologiquement supérieurs), ou au contraire la "tolérance" et la recherche de la différence ou de l'altérité (avec tous les problèmes de communication que cela peut poser). La relation étroite qui existe entre la préoccupation "extra-terrestre" et la modernité semble aussi indiquer que cette quête fait suite à la triple humiliation décrite par Freud :

    1. . L'homme n'est plus au centre du monde : il se sent plus seul que jamais, et souhaiterait plus que jamais rencontrer des compagnons de route qui peut-être pourraient le renseigner sur sa destination.
    2. . L'homme n'est plus le couronnement de la création, puisqu'il est un singe évolué (Darwin) dès lors il se retrouve en compétition avec des mollusques intelligents, des singes intergalactiques...
    3. . Il n'est plus maître dans sa propre conscience :il découvre en lui un bestiaire de désirs et de craintes inconscientes, de complexes... qui font qu'il ne se comprend plus lui-même : à l'aube des temps modernes Pascal a des pensées prophétiques :
      Pascal 434 : "Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ?! Juge de toute choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur ; gloire et rebut de l'univers." (...) "Apprenez que l'homme passe infiniment l'homme." Et, bien sûr : 206-201: "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie".


    Il paraît rassortir aussi que l'altérité des extra-terrestres fonctionne comme une alternative à la transcendance divine - comme si l'homme ne se reconnaissant plus image de Dieu, ayant perdu son identité, se cherchait indéfiniment de nouveaux visages, et comme s'il cherchait à l'intérieur du monde, dans le fini ce qui était auparavant "extérieur" au monde et infini. On pourra voir dans le film Abyss une transposition à peine voilée du thème biblique du juste qui rachète son peuple : les extra-terrestres sont comme nous des êtres finis, et en même temps ils ont comme Dieu le pouvoir de châtier l'humanité, et sont eux-mêmes des figures angéliques. Un seul homme qui accepte de se sacrifier va sauver l'humanité entière : comme Abraham en acceptant de sacrifier Isaac, ou Jésus en se sacrifiant lui-même.

    Les extra-terrestres sont-ils des projections de l'ambiguïté même, l'équivoque, voire la confusion de notre condition moderne?


1 le vide est infini, et les atomes doivent donc aussi être en nombre infini - sans quoi ils se disperseraient et se perdraient sans jamais se rencontrer, dans le vide infini.

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