Le système éducatif face à la diversité des élèves |
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![]() Inspecteur Général de lÉducation Nationale, groupe des Lettres n°14, mars 2001 |
On ne cesse aujourd'hui de s'inquiéter de l'hétérogénéité des classes, au collège notamment. C'est oublier un peu vite que, même à une époque où il y avait dans une classe d'âge moins de 5% de bacheliers, certains enseignants prenaient déjà la plume pour dénoncer l'hétérogénéité inacceptable de leur public ! Il s'agit là de plus d'un phénomène complexe : il existe une hétérogénéité sociale et culturelle ; il existe aussi des différences d'aptitudes ou en tout cas des différences dans les acquisitions antérieures, des différences de goût, de sensibilité, d'intérêt. Dans le système éducatif cette question, comme beaucoup d'autres, gagne à être envisagée dans une perspective historique.
La première forme de réponse apportée a été d'ordre structurel, avec par exemple l'organisation en séries des baccalauréats ou la structuration en filières générales, technologiques et professionnelles. Aujourd'hui, au collège, les dispositifs « filiarisants » ont, au moins au niveau des textes officiels, disparu. Le dernier avatar de cette forme d'organisation aura été la voie des 4e et 3e technologiques. Il ne reste que des dispositifs en principe exceptionnels, pour réguler l'hétérogénéité : 4e de soutien, 3e d'insertion, classes relais.
Ce regroupement de l'ensemble d'une génération dans la même structure d'enseignement ne va pas sans difficulté. Faute de réponse structurelle au problème de l'hétérogénéité, se développent diverses pratiques : options de langues, classes européennes, cycles en trois ans servant à créer des filières de fait. Des travaux ont pourtant montré que, contrairement aux croyances de beaucoup d'enseignants, les classes homogènes ne sont pas celles où les élèves progressent le plus. Au contraire, l'hétérogénéité crée les conditions permettant aux élèves en difficulté de progresser sans pénaliser les plus doués. Les stratégies d'évitement de l'hétérogénéité ne constituent donc pas une bonne solution.
Les tentatives de réponses pédagogiques se sont progressivement substituées aux réponses structurelles. Depuis plusieurs années, on observe une grande continuité dans la volonté de diversification et d'individualisation de l'enseignement. Un premier type de réponse a consisté à jouer sur des marges dégagées dans les horaires (10%, PAE, ateliers, clubs.). On a pu aussi introduire, en complément aux enseignements, les études dirigées ou surveillées. On s'est également tourné très tôt vers une logique de soutien, en attribuant davantage des mêmes enseignements aux élèves en difficulté, au risque de renforcer les réactions de rejet. L'idée des groupes de besoin est née de la prise de conscience de ces limites du soutien. C'est dans cette perspective qu'ont été introduites dans les lycées l'expérience intéressante des modules, puis l'aide individualisée en 2de et, dans les collèges, la consolidation en 6e. La volonté de valoriser les différences et d'inciter au travail en équipe des enseignants conduit à un autre type de réponse qu'on peut qualifier de « pédagogie du détour » ; parcours diversifiés ou travaux croisés au collège, travaux personnels encadrés au lycée permettent de chercher à atteindre les mêmes objectifs en travaillant autrement.
Mais les transformations du public scolaire ont aussi des effets majeurs sur les disciplines elles-mêmes, qui sont obligées d'évoluer, de redéfinir leur place et leur projet au sein du système éducatif. Le français, par exemple, doit trouver de nouveaux équilibres entre une finalité opérationnelle (maîtrise des discours, communication écrite et orale) et une finalité culturelle, liée notamment à l'étude de la littérature. La réflexion sur les évolutions nécessaires du système éducatif doit donc aujourd'hui prendre pleinement en compte la dimension didactique. Il faut revendiquer, contre les diverses formes de sclérose, une conception vivante et évolutive des disciplines. Il faut que celles-ci, selon des modalités qui restent largement à inventer, acceptent de refonder sans cesse leur projet, de remettre en cause leurs frontières et leurs traditions.