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La ballade des pendus

L’épitaphe Villon ( La ballade des pendus)

Frères humains qui après nous vivez,

N’ayez les cœurs contre nous endurcis,

Car, si pitié de nous pauvres avez,

Dieu en aura plus tôt de vous mercis.

Vous nous voyez ci attachés cinq, six :

Quant à la chair, que trop avons nourrie,

Elle est piéça dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.

De notre mal personne ne s’en rie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Si frères vous clamons, pas n’en devez

Avoir dédain, quoique fûmes occis

Par justice. Toutefois vous savez

Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis ;

Excusez-nous, puisque sommes transis,

Envers le fils de la Vierge Marie,

Que sa grâce ne soit pour nous tarie,

Nous préservant de l’infernale foudre.

Nous sommes morts, âme ne nous harie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,

Et le soleil desséchés et noircis ;

Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,

Et arraché la barbe et les sourcils.

Jamais nul temps nous ne sommes assis ;

Puis çà, puis là, comme le vent varie,

À son plaisir sans cesser nous charrie,

Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.

Ne soyez donc de notre confrérie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,

Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :

À lui n’ayons que faire ni que soudre.

Hommes, ici n’a point de moquerie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

(copie 1)

Hé ! Dieu, si j’eusse étudié

Au temps de ma jeunesse folle

Et à bonnes meurs dédié,

J’eusse maison et couche molle !

Mais quoi ? Je fuyaie l’école,

Comme fait le mauvais enfant.

En écrivant cette parole,

À peu que le cœur ne me fend.

F. Villon