Histoire ancienne des diviseurs
Christian Drouin (Pauillac)
n°8, mars 1999

L’arithmétique, qui revient dans nos programmes, traite des objets les plus simples des mathématiques : les nombres entiers. Il est donc naturel que les mathématiques les plus antiques aient eu affaire à elle. Égyptiens et Babyloniens se trouvèrent, comme nous allons le voir, confrontés à des questions de divisibilité, mais ils ne théorisèrent pas cette notion.

Les scribes de l’Égypte pharaonique ne savaient penser les rationnels qu’en tant que sommes d’inverses d’entiers distincts (Cf RéciproqueS n° 5 page 3). Se posait alors le problème d’écrire le double d’un inverse d’entier (soit 2 x 1/n) sous la forme d’une somme d’inverses. k étant un entier, ils essayaient de compléter 1/(kn) pour arriver à 2/n. La différence étant : (2k–1)/(kn), ils n’étaient satisfaits que lorsque cette fraction était un inverse d’entier. Ceci équivaut, pour nous, à : 2k–1 divise kn et donc : 2k–1 divise n.

Lorsque n est premier, ceci implique 2k–1 = n, et donc la décomposition égyptienne revient à : 2 x 1/(2k–1) = 1/k + 1/[k(2k–1)]. Par exemple : 2 x 1/31 = 1/16 + 1/496. Dans le cas où n = 35 (non premier), ils écrivaient, avec 2k–1 = 5 : 2 x 1/35 = 1/105 + 1/21.

Les anciens Babyloniens rencontrèrent eux aussi la divisibilité, sans la nommer. Ils savaient en effet quels diviseurs fournissaient une division "qui s’arrête" dans leur système de numération de base 60.

Avec nos concepts actuels, n et d étant premiers entre eux, n/d s’exprime en base 60 si et seulement si n/d est de la forme N/60p donc si et seulement si : n.60p = N.d, ssi d divise 60p, pour un certain entier p. Ceci équivaut au fait que les seuls diviseurs premiers de d se trouvent parmi ceux de 60, à savoir parmi 2, 3 et 5.

Les Babyloniens jouissaient donc d’un plus grand nombre de divisions "tombant juste", puisque dans notre système décimal, les seuls diviseurs premiers permis du dénominateur sont 2 et 5, et non plus 3.

En contraste avec ces calculateurs, d’ailleurs souvent virtuoses, les anciens Grecs eurent l’immense mérite d’élaborer une mathématique qui fût théorie, conceptualisation, déduction et logique. Un de leurs premiers résultats est cependant négatif, et sema semble-t-il le trouble chez les Pythagoriciens : en notre langage, racine(2) n’est pas rationnel. (Car si p2 = 2q2, p et q étant premiers entre eux, on a impérativement p et q pairs… et p et q ne sont donc pas premiers entre eux ! On trouve cette démonstration chez Aristote).

Surmontant leur perplexité, les Grecs dégagent les concepts fondamentaux de l’arithmétique : Nombres premiers, PPCM, PGCD, algorithme d’Euclide… Certaines notions gardent cependant la trace de la valeur mystique que les Pythagoriciens attribuaient au nombre entier. Ainsi un nombre est dit parfait s’il est égal à la somme de ses diviseurs propres (lui-même exclu, bien sûr). Deux nombres sont dits amiables si la somme des diviseurs propres de chacun d’entre eux est égale à l’autre. Euclide démontre que si 2n–1 est premier, alors P = 2n-1 (2n–1) est un nombre parfait. C’est Euler qui montra que les seuls nombres parfaits pairs sont ceux d’Euclide. On ne sait pas s’il en existe des impairs.

Les Arabes du IXème siècle reprennent avec passion les travaux des Grecs, et Thâbit Ibn Qurra (mort en 901) donne des nombres amiables sous la forme a = 2n pn pn-1 et b = 2n qn où pn = 3.2 n–1 et qn = 9.22n-1–1, sous la condition que pn, pn-1 et qn soient tous les trois premiers, ce qui est une proposition passablement complexe. Voici deux exemples de paires amiables : {220, 284} et {17 296, 18 416}.

Les Arabes énoncent aussi le théorème "de Wilson", et des résultats sur les fonctions "nombre de diviseurs", "somme des diviseurs", qui seront retrouvés par les Européens des XVIIème et XVIIIème siècles, et qui forment le socle de l’Arithmétique "classique". Mais ceci est une autre histoire…