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PRINCIPES GÉNÉRAUX
Bulletin Officiel 31 août 2000
Au sein du dispositif de rénovation des lycées, la création
d'un enseignement d'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) dans chacune
des trois classes de seconde, première et terminale des lycées d'enseignement
général et technologique, ainsi que dans les lycées professionnels, constitue
une des principales innovations. Le nombre d'heures qui lui est globalement
accordé étant modeste, c'est dans ses objectifs et par ses méthodes que cette
innovation doit être significative.
Concourir à la formation de citoyens est une des missions
fondamentales du système éducatif.
On ne peut oublier que c'est au lycée qu'une partie des
élèves, atteignant leur majorité civile, va se trouver confrontée au droit
de vote qui en découle ou à l'absence de ce droit pour les étrangers, aux
questions que ces différences soulèvent, à la décision d'exercer ce droit et
de mesurer la portée de ce choix.
Au-delà de cette réalité hautement symbolique, la
citoyenneté a bien d'autres dimensions dont le lycée doit permettre la compréhension
avec l'aide de l'enseignement de l'ECJS.
Que signifie "éduquer à la citoyenneté" dans
un système scolaire ? Deux réponses sont possibles.
- L'une consiste à faire de la citoyenneté un objet d'étude
disciplinaire, au même titre que les mathématiques, la physique, la littérature
etc. ; la citoyenneté s'apprendrait à l'école avant de s'exercer dans la vie
du citoyen. Ce choix correspond pour l'essentiel à la conception traditionnelle
d'une instruction civique, en tant qu'inculcation de principes à mettre en
actes dans un temps différé plus ou moins lointain. Elle a eu sa place dans le
système éducatif : les missions du lycée, fréquenté par une petite minorité,
n'étaient alors pas celles qui lui sont assignées aujourd'hui.
- L'autre réponse part de l'idée que l'on ne naît pas
citoyen mais qu'on le devient, qu'il ne s'agit pas d'un état, mais d'une conquête
permanente ; le citoyen est celui qui est capable d'intervenir dans la cité :
cela suppose formation d'une opinion raisonnée, aptitude à l'exprimer,
acceptation du débat public. La citoyenneté est alors la capacité construite
à intervenir, ou même simplement à oser intervenir dans la cité.
Cette dernière réponse peut être mise en œuvre au lycée
aujourd'hui. Deux conditions essentielles sont réunies : l'une correspond aux
attentes des élèves telles qu'elles se sont exprimées au travers des
consultations sur les savoirs ; l'autre s'inscrit dans la continuité de ce qui
a été enseigné en éducation civique au collège, et permet de montrer les
dimensions sociale, éthique et politique de certains savoirs enseignés au lycée.
De nombreux professeurs ont exprimé leur intérêt pour cette démarche et leur
désir d'y contribuer.
Lorsqu'une pratique éducative consiste à transmettre un
savoir sous forme d'une succession d'évidences sanctionnées par les autres, l'élève
apprend en outre autre chose que ces contenus : il apprend que le savoir est détenu
par des autorités, il a la tentation de ne le recevoir que passivement, il
commence par admettre qu'il peut être délégué à "ceux qui
savent". Appliquée à l'ECJS, une telle pratique formerait des citoyens
passifs, percevant le savoir comme déconnecté de ses enjeux sociaux, économiques
et politiques. Certes, on ne crée pas le savoir, on le reçoit ; il est énoncé
et validé par quelqu'un qui fait autorité. Mais le savoir n'est pas seulement
quelque chose de transmis ; on doit aussi se l'approprier. L'élève pourra
exercer sa citoyenneté grâce au savoir, mais un savoir reconstruit par lui,
dans une recherche à la fois personnelle et collective.
L'éducation civique, juridique et sociale doit être
abordée comme un apprentissage, c'est-à-dire l'acquisition de savoirs et de
pratiques. Grâce à ce processus doit s'épanouir, à terme, un citoyen adulte,
libre, autonome, exerçant sa raison critique dans une cité à laquelle il
participe activement. Ainsi se constitue une véritable morale civique ;
celle-ci contient d'abord une dimension civile fondée sur le respect de l'autre
permettant le "savoir-vivre ensemble" indispensable à toute vie
sociale, mais elle suppose aussi une nécessaire dimension citoyenne faite d'intérêt
pour les questions collectives et de dévouement pour la chose publique.
L'école (le lycée ici) n'est pas et ne peut pas prétendre
être le seul lieu d'un tel apprentissage : elle doit y prendre, à côté
d'autres, toute sa place. L'ECJS ne doit ni prétendre se substituer, ni
accepter d'être considérée comme substituable à la formation qui résulte de
pratiques citoyennes, au lycée et hors du lycée. Elle s'ouvre largement à la
découverte et à l'étude de ces pratiques.
L'éducation civique, juridique et sociale n'est donc pas,
parmi d'autres enseignements, une discipline nouvelle. A quelques exceptions près,
l'ECJS n'a pas à ajouter de savoirs aux connaissances acquises dans les
principales disciplines enseignées au lycée. Elle peut, de surcroît, se
fonder sur les acquis du collège en matière d'éducation civique, dont les
programmes, désormais complets, préparent à cette nouvelle approche en
combinant de solides bases en matière institutionnelle à l'initiation à des réflexions
personnelles. Il s'agit donc d'organiser le croisement et le dialogue de ces
savoirs autour du concept intégrateur de citoyenneté.
Le seul savoir nouveau auquel il faut initier, grâce à
l'ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l'enseignement scolaire français. Il
s'agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés,
et non d'enseigner le droit dans ses techniques.
Mobilisant un ensemble de connaissances disponibles, l'ECJS
doit satisfaire la demande exprimée par les lycéens lors de la consultation de
1998 sur les savoirs, de pouvoir s'exprimer et débattre à propos de questions
de société. Le débat argumenté apparaît donc comme le support pédagogique
naturel de ce projet, même s'il ne faut pas s'interdire de recourir à des
modalités pédagogiques complémentaires.
Faire le choix du débat argumenté n'est ni concession démagogique
faite aux élèves ni soumission à une mode ; c'est choisir une méthode
fructueuse. Le débat argumenté permet la mobilisation, et donc l'appropriation
de connaissances à tirer de différents domaines disciplinaires : histoire,
philosophie, littérature, biologie, géographie, sciences économiques et
sociales, physique, éducation physique... notamment, mais non exclusivement. Il
fait apparaître l'exigence et donc la pratique de l'argumentation. Non
seulement il s'agit d'un exercice encore trop peu présent dans notre
enseignement, mais au-delà de sa technique, il doit mettre en évidence toute
la différence entre arguments et préjugés, le fondement rationnel des
arguments devant faire ressortir la fragilité des préjugés. Il doit donc
reposer sur des fondements scientifiquement construits, et ne jamais être
improvisé mais être soigneusement préparé. Cela implique qu'il repose sur
des dossiers élaborés au préalable par les élèves conseillés par leurs
professeurs, ce qui induit recherche, rédaction, exposés ou prises de parole
contradictoires de la part d'élèves mis en situation de responsabilité et,
ensuite, rédaction de compte rendus ou de relevés de conclusions.
Le débat doit reposer sur le respect d'autrui et donc
n'autoriser aucune forme de dictature intellectuelle ou de parti pris idéologique.
Il est une occasion d'apprendre à écouter et discuter les arguments de l'autre
et à le reconnaître dans son identité.
Un tel dispositif favorise les adaptations. Le même thème
du programme pourra être abordé en fonction des activités ou des préoccupations
propres à chaque classe. Les événements de l'actualité pourront être tout
à la fois pris en compte et mis à distance.
Le dossier documentaire sur lequel se fonde le débat est
le témoin de la progression de cette démarche. Il peut prendre des formes
variables : présentation de textes fondateurs ou de textes de loi, sélection
d'articles de presse, collecte de témoignages, recherche ou élaboration de
documents photographiques, sonores ou vidéo. C'est ici que l'ECJS peut utiliser
toutes les modalités interactives de la recherche documentaire actuelle.
Quelques exemples sont soulignés dans le programme de chaque classe, sans leur
donner un caractère limitatif qui serait contraire à la liberté pédagogique
des professeurs.
Le lien avec l'autre innovation que constituent les
"Travaux Personnalisés Encadrés" (TPE) est ici évident et devra être
exploité.
Dans le cadre de la liberté des choix pédagogiques, les
élèves doivent acquérir des méthodes à travers lesquelles ils seront initiés
à l'étude des règles juridiques et des institutions. On peut ainsi, à propos
de situations concrètes, enseignées ou vécues, et sans préjuger de l'usage
d'autres pratiques, identifier trois moments remarquables.
- Le premier moment étudie les circonstances et les
conditions de l'invention de la règle ou de l'institution. On a trop tendance
à oublier l'origine et l'histoire d'une règle. Sa genèse doit être mise au
jour. Ainsi, dans la famille, les règles qui guident l'autorité parentale à
laquelle tout enfant est soumis ont subi une transformation à travers le temps,
particulièrement au cours des trois dernières décennies, qui détermine son
exercice actuel. De même, les règles qui déterminent les relations du travail
ne peuvent être comprises qu'en connaissant les contextes et conflits qui,
depuis un siècle, ont construit et construisent encore le droit du travail.
L'histoire est donc ici très particulièrement mobilisée ; étudier les
conditions de naissance d'une règle, en montrant qu'elle est une production
historique et non un a priori absolu, contribue à humaniser la règle de droit
: ce n'est plus un dogme mais une règle de vie. L'institution scolaire peut
aussi servir d'objet d'étude : ainsi, le règlement intérieur du lycée peut
être analysé et étudié quant à ses origines et son actualité, ce qui
assure le lien avec les enseignements du collège.
- Le deuxième moment privilégie l'étude des usages de
la règle par les acteurs sociaux concernés. La règle n'est pas nécessairement
utilisée comme ses inventeurs l'avaient imaginé : la pratique d'une règle
peut s'éloigner des principes qui ont guidé sa fondation. Il faut donc
conduire l'élève à se demander pourquoi les acteurs sont amenés à utiliser
une règle dans un sens plutôt que dans un autre. On montrera alors qu'une même
règle peut avoir des utilisations différentes selon les contextes économiques
et sociaux, selon les époques ou selon les pays. Les apports de l'histoire, des
sciences économiques et sociales, du français (notamment à travers la lecture
de textes d'actualité) seront mis à contribution. La législation américaine
antitrust, adoptée à la fin du XIXème siècle, fut utilisée à l'époque
essentiellement contre les syndicats ouvriers : elle pourrait ainsi être
confrontée aux législations et procès contemporains contre les monopoles
qu'illustre le cas des multinationales de l'informatique. La géographie
introduit à la notion d'espace et à la mise en évidence des intérêts, privés
ou publics, individuels ou collectifs, qui peuvent se manifester à son propos.
Ainsi une zone franche, avec les dérogations qu'elle implique, peut favoriser
un quartier classé sensible, ou être utilisée comme un paradis fiscal. Hors
d'un champ disciplinaire particulier, l'école peut offrir à nouveau de
nombreuses illustrations de ces comportements.
- Le troisième moment s'attache aux discours produits sur
les règles. Chaque époque produit des discours qui tentent de justifier
rationnellement les règles existantes. D'une époque à une autre, d'un lieu à
un autre, ces discours peuvent différer jusqu'à être contradictoires. L'ECJS
en tant qu'éducation à la citoyenneté doit conférer la capacité à analyser
les discours existants. C'est cette fois sur les objectifs fixés par le
programme de l'enseignement du français au lycée ("approfondir la maîtrise
du discours") que l'ECJS peut se fonder, tout en recourant à des exemples
relevant des autres disciplines déjà mentionnées, comme l'histoire. On peut
ainsi renouveler la perception de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, qu'il sera opportun de reprendre à cette occasion, en découvrant
qu'elle a donné lieu à des lectures différentes en 1789 et lors des commémorations
de 1889 ou de 1989. Le citoyen doit pouvoir les identifier et les décrypter
s'il veut s'approprier pleinement ce texte fondateur. On trouverait, ici encore,
à propos du lycée, de nombreuses illustrations ; ainsi des discours produits
sur l'école par différents protagonistes, hommes politiques et partis,
syndicats, parents d'élèves, etc.
Les modalités matérielles de mise en œuvre de l'ECJS
doivent donc être au service de ces ambitions. Sans ignorer les difficultés
pratiques que peuvent rencontrer les chefs d'établissement pour y parvenir, les
regroupements de l'horaire réglementaire sont essentiels pour permettre la réalisation
du travail qu'impliquent ces programmes. Le choix de 8 séquences mensuelles de
2 heures chacune est hautement souhaitable ; il est adapté aux modalités pédagogiques
décrites ici, tant par son rythme (temps de préparation et de suivi des
dossiers) que par la durée des séances nécessaire pour que le maximum d'élèves
puisse participer au débat. À défaut, le rythme de l'heure par quinzaine ne
peut être considéré que comme un pis-aller.
De très nombreux professeurs, par leur savoir, leur
culture, leur implication dans la vie du lycée, ont vocation à contribuer à
cet enseignement. La participation d'intervenants extérieurs, témoins dans un
champ social étudié, est évidemment souhaitable. Les responsables des établissements
doivent favoriser ces pratiques ; cela implique que, cet enseignement devant être
organisé dans toutes les classes et filières de leurs lycées, ils encouragent
et si possible organisent coordination, échanges d'expériences et mise en
commun de séquences pédagogiques.
L'architecture d'ensemble du programme, sur les trois années
du lycée, consiste à redécouvrir par l'analyse la notion de citoyenneté, à
en étudier les principes, modalités et pratiques, et à la confronter aux réalités
du monde contemporain. Il est naturel que l'accent soit mis sur des aspects différents
de cette problématique dans chacune des classes du lycée.
En classe de seconde : "De la vie en société à la
citoyenneté"
La découverte de la citoyenneté se fait à partir de l'étude
de la vie sociale que l'élève peut comprendre pour remonter, par analyse, à
sa source politique et à sa construction dans le temps. Des objets d'étude,
choisis dans la vie sociale, servent de base à ce travail et permettent de
faire découvrir par les élèves une ou plusieurs dimensions de la citoyenneté.
Par là, on approfondit et enrichit ce qui a été acquis au collège.
En classe de première : "Institutions et pratiques
de la citoyenneté"
L'étude de la citoyenneté permet l'analyse du
fonctionnement des principales institutions politiques de la cité. Les grands
principes constitutionnels ouvrent sur les institutions de la démocratie avec
les partis politiques, les systèmes électoraux et les libertés publiques. La
présentation des institutions judiciaires peut être faite à partir de divers
niveaux intéressant particulièrement les classes concernées (prud'hommes et législation
du travail, tribunal de commerce et technologies de la vente, autorité légitime
et tribunaux d'exception par exemple). La diversité des conceptions, des
institutions et des pratiques de la citoyenneté est appréhendée, par une méthode
comparative, dans le temps et dans l'espace.
En classe terminale : "La citoyenneté à l'épreuve
des transformations du monde contemporain"
La confrontation de la citoyenneté aux grandes
transformations du monde contemporain permet de déboucher, hors de toute
intention polémique, sur des thèmes faisant débat, par exemple les différentes
conceptions de l'égalité, le rôle des media, l'indépendance de la justice,
ou sur des questions résultant des évolutions familiales, scientifiques ou
sociales. On aborde aussi les problèmes posés par l'unification européenne et
la mondialisation avec leur impact sur les institutions politiques. On traite
notamment le thème de "la défense et la paix" sur lequel le système
éducatif s'est engagé à faire réfléchir les élèves dans le cadre de la
fin du système de conscription.
L'évaluation de l'éducation civique, juridique et
sociale doit refléter les particularités de cet enseignement. Ne comportant
pas ou très peu de nouveaux savoirs, les programmes ne sauraient être présentés
exclusivement sous forme de listes de contenus. Ils mettent l'accent sur des
objectifs et sur l'acquisition de méthodes. Les documents d'accompagnement suggèrent,
sans les imposer, des exemples pour leur mise en œuvre. L'évaluation doit
tenir compte d'une part de ce que cet enseignement n'est pas censé apporter de
savoirs fondamentalement nouveaux par rapport à ceux qui sont acquis dans les
autres disciplines, d'autre part de la pédagogie particulière qui y est mise
en œuvre.
L'évaluation durant les classes de seconde, première et
terminale porte d'une part sur l'investissement et la qualité des travaux
produits par les élèves avant et après la séquence, d'autre part sur les
acquis qui auront été assimilés lors de chaque séquence. Les professeurs
s'assurent de la maîtrise des notions recensées dans chaque programme.
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