THEME 2 : 
“ EXERCICE DE LA CITOYENNETE, FORMES DE PARTICIPATION POLITIQUE ET ACTION COLLECTIVE ”  

 

Fiche Ressource 1 : 

Analyses théoriques de l’action collective

 

L’action collective est généralement définie comme action concertée (ou commune) de un ou plusieurs groupes cherchant à faire triompher des fins partagées. Les théories sociologiques qui ont cherché à construire des modèles explicatifs cohérents des actions collectives peuvent se répartir en trois grandes catégories :

- les explication à dominante psychosociale,
- les explications rationnelles de mobilisation des ressources,
- les explications centrées sur les nouveaux mouvements sociaux.

 

1. Les explications à dominante psychosociale.

Le paradigme épidémiologique

Sous l’influence croissante des études psychologiques, se développent à la fin du XIXème siècle, notamment en France, des analyses en termes de contagion avec Hyppolite Taine, Gabriel Tarde et Gustave Le Bon. Tarde, pour qui l’imitation est une loi de la vie sociale, assimile l’action collective de la foule à un processus rapide et généralisé de diffusion d’idées à forte charge émotionnelle et d’imitation d’un même comportement rendu possible par l’existence d’une culture commune et l’émergence de meneurs. Mais c’est surtout Le Bon qui va systématiser cette analyse dans La psychologie des foules (1895) : la foule est susceptible de forger chez les individus de nouveaux caractères. L’appartenance à une foule suscite en effet un sentiment de puissance nourri du sentiment d’impunité qu’autorise l’anonymat. La foule anthropologisée par Le Bon acquiert sa propre psychologie.

 

Ces théories psychologiques des foules ne pouvaient donner naissance à un courant de pensée, ne disposant ni de méthode scientifique ni de postulats sérieux. Elles ont pu nourrir une propension, déjà bien ancrée chez les tenants de l’ordre établi, de rendre compte des mouvements sociaux par l’explication policière qui consiste à voir derrière chaque action collective l’oeuvre de meneurs. Cela ne délégitime pas pour autant le questionnement sur les phénomènes de foule ni n’invalide des travaux sur la psychologie collective de Freud ou sur la psychologie de masse du fascisme de Wilhem Reich. Elles ont par ailleurs trouvé certains prolongements dans des travaux des années 1950-60 sur les déterminants psychologiques du comportement collectif.

 

Les théories de la société de masse

A l’issue de la deuxième guerre mondiale, certains auteurs insistent sur l’isolement psychologique produit par une société de masse. L’affaiblissement des liens sociaux, l’isolement psychologique, le déracinement des individus s’expliquent par l’urbanisation, l’industrialisation et la crise économique. La désintégration des structures intermédiaires laisse la masse des individus atomisée, dans un face à face avec les élites. La société de masse qui en résulte combine la société pluraliste (les “ non-élites ” participent à la sélection des élites) et la société totalitaire : en l’absence de corps intermédiaires en pleine déliquescence faute de médiation entre l’Etat et les individus, les élites ne sont pas en mesure d’assurer un contrôle social ; la société est déstructurée ; se renforce une double aliénation sociale et individuelle ; s’intensifient un état d’anxiété et un sentiment de frustration. Cet état psychologique favorise la manipulation et rend l’individu apte à basculer de l’apathie à l’activisme.

Petite bourgeoisie ruinée, déclassés sociaux, intellectuels sans ancrage social et plus généralement toutes les catégories les plus menacées par la crise et le développement du capitalisme sont les plus susceptibles de se laisser entraîner dans des mouvements extrémistes. Les théoriciens de la société de masse écrivaient dans le contexte singulier du profond traumatisme infligé par le fascisme, le nazisme et la guerre.

 

Les approches fonctionnalistes

Une perspective fonctionnaliste analyse la dimension psychologique du comportement collectif en terme de tensions sur les valeurs, les normes, les rôles et le fonctionnement des organisations. L’action collective contribue à réduire ces tensions générées par des dysfonctionnements du système. Les mouvements sociaux ont donc pour finalité d’opérer une certaine régulation.

 

Les théories de la frustration relative.

Rejetant le paradigme épidémiologique qui ne tient pas compte des conditions et cadres sociaux de l’action collective (la contagion est par nature aveugle), d’autres auteurs vont mettre en avant la notion de frustration relative. Ces travaux se sont surtout développés durant les années soixante avec principalement James Davies et Ted Gurr. Le premier cite Tocqueville :

“ Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre et comme s’il ne les sentait pas les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait immédiatement précédé et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de sauver ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire ” (Alexis de Tocqueville). L’ancien Régime et la Révolution.

 

Une situation cumule les risques d’explosion révolutionnaire quand, à une période de prospérité, succède une récession brutale. Le décalage entre les attentes et le niveau réel de satisfaction s’enfle démesurément. La marge “ entre ce que les gens désirent et ce qu’ils ont ” devient intolérable. Nous avons là la théorie de la frustration relative : Davies l’illustre avec l’explication de la révolution russe. Les progrès réalisés en Russie à partir des années 1880 font lever les espérances de la plupart des groupes sociaux. Mais les attentes seront déçues tant au niveau de la paysannerie qui ne bénéficie pas dans sa grande majorité des effets des réformes et est victime de mauvaises récoltes, que des ouvriers pour la plupart fraîchement déracinés et surexploités, ou de l’intelligentsia frustrée par un système politique rétrograde, ou même de l’armée humiliée par sa défaite dans la guerre contre le Japon. Guerre et famine des années 1914-1917 catalysent l’ensemble des frustrations et ébranlent les fondements mêmes du régime tsariste. La situation révolutionnaire est mûre.

Ted Gurr systématise cette approche en terme de frustration relative, définie comme l’écart perçu par les individus entre les biens auxquels ils estiment avoir droit et ceux qu’ils pensent pouvoir obtenir. L’intensité de la frustration détermine le degré de violence collective contenue dans la société. Le décalage perçu entre le niveau des attentes et celui de satisfaction réelle explique les dispositions à la violence. Mais Gurr, contrairement à d’autres auteurs, se garde d’en faire une condition suffisante. Il n’y a pas de lien mécanique entre ce décalage perçu et l’ampleur des réactions collectives. Celle-ci dépend aussi du degré de légitimité du pouvoir et de sa puissance de répression.

L’action collective s’explique moins par une contagion que par une convergence : l’action collective résulte certes d’un état de frustration, mais celle-ci est le produit d’une communauté d’expériences et de prédispositions sociales.

 

2. Les explications rationnelles de la mobilisation des ressources

Une toute autre perspective théorique envisage que les acteurs sociaux s’engagent en toute connaissance de cause dans des actions collectives ; elle fait l’hypothèse d’une participation motivée et rationnelle.

 

Le paradoxe d’Olson

Dans Logique de l’action collective (1966), Mançur Olson applique le raisonnement coûts/avantages à l’action collective et met à jour une situation paradoxale où un acteur rationnel a intérêt à profiter des résultats d’une action collective sans y participer.

Olson explique ce paradoxe par la nature même des biens collectifs fournis par une action collective : ceux-ci profitent à tous les membres du groupe, qu’ils aient participé ou non à leur production. Il y a donc possibilité de choisir une attitude de “ passager clandestin ”, de prendre un “ ticket gratuit ”. L’individu y est d’ailleurs d’autant plus incité que la participation à l’action collective a un coût en temps, en argent, parfois en considération.

  Le calcul rationnel ne conduit pas à défendre les intérêts du groupe. Olson souligne cependant que l’individu étant soumis à la pression du groupe, l’anonymat favorise la non-participation dans les grands groupes et les interrelations plus serrées imposent une plus forte participation dans les petits groupes. Il faut, dit Olson, s’interroger sur les motivations individuelles et bannir la fiction d’acteur collectif. Ainsi, Marx se tromperait quand il analyse une situation d’absence de conflit de classe par l’apathie d’une classe ouvrière victime d’une fausse conscience entretenue par la bourgeoisie. Cette apathie résulte du comportement rationnel et utilitaire de chaque ouvrier.

  L’action collective ne pourrait prendre corps si celle-ci ne procurait pas non plus des biens sélectifs, c’est à dire des avantages particuliers aux seuls participants. L’organisation qui s’engage dans l’action collective parvient ainsi à limiter le risque de “ ticket gratuit ”, de défection. Ces biens sélectifs peuvent être soit des sanctions négatives (la rétention de la carte d’identité pour les habitants de la Casbah d’Alger qui n’auraient pas participé à la manifestation de fraternisation franco-arabe sur le Forum le 4 juin 1958) soit le recours aux incitations positives (le système du closed-shop réservant l’embauche aux travailleurs syndiqués).

  Il y a donc bien au niveau individuel une décision rationnelle dans le choix de prendre part à l’action collective, un calcul coûts/avantages. Mais ces coûts et avantages ne se mesurent pas seulement en termes matériels. Ils peuvent être symboliques et recouvrir de nombreux domaines comme le divertissement et la considération de soi.

La démarche d’Olson a représenté une véritable rupture : on ne peut faire abstraction de la rationalité et des motivations de l’acteur, qu’elles soient matérielles ou d’un autre ordre de grandeur. Cependant, l’acteur olsonien est relativement passif alors que l’action collective relève davantage d’un comportement actif. C’est ce que relèveront divers auteurs dont les travaux participent du paradigme de la mobilisation des ressources.

  L’approche entrepreneuriale.

La participation individuelle dépend certes des anticipations des coûts et bénéfices attendus de son implication dans l’action collective. Mais cette implication sera d’autant plus forte que l’organisation est à même d’acquérir, de rassembler et de mobiliser des ressources. L’entrepreneur de l’action collective joue donc un rôle central. Contrairement à l’approche psychologisante qui voit dans le mécontentement l’origine et l’explication des comportements collectifs, certains considèrent que le mécontentement n’est rien et l’organisation tout : “ Les mécontentements peuvent être définis, créés et manipulés par les dirigeants et les organisations ”. Les mouvements sociaux se construisent et se structurent. Les entreprises de mobilisation ou organisations du mouvement social, qui partagent le même type de valeurs et de revendications, appartiennent à une sorte d’“ industrie ” du mouvement social.

Chaque entreprise de mobilisation assure la fonction de mobilisation des ressources internes (avec le rôle stratégique des militants qui disposent de ressources discrétionnaires en temps et argent car ils agissent par conscience pour assurer la pérennité et le développement du mouvement) et celle des ressources externes (réseaux, médias...). Elle a besoin de leaders à qui incombent de dégager les combinaisons et stratégies les plus adaptées au développement du mouvement social qu’ils dirigent.

La dimension interactionniste de la participation à l’action collective.

Selon Albert O. Hirschman, l’individu peut, dans des situations diverses (de marché, de groupe familial, d’organisation syndicale ou partisane...), manifester son insatisfaction de la pratique des relations internes et son mécontentement des disfonctionnements de l’organisation de trois manières :

- le refus de participer, la défection (exit),
- la prise de parole, c’est à dire une participation protestataire pour changer le système d’interactions dans l’organisation afin que soient prises en compte ses orientations ou ses intérêts (voice),

- la fidélité malgré tout (loyalty).

 

Mobilisation des ressources et structure des liens sociaux.

Obershall, quant à lui, explicite les avantages attendus par l’individu de sa participation à l’action collective : statut social, prestige, satisfactions personnelles en plus des récompenses matérielles. Entre les leaders et la base, les niveaux de participation et les bénéfices diffèrent. Il voit, lui aussi, dans l’organisation, une ressource nécessaire et une condition essentielle de l’action collective. Mais il prend aussi en considération les liens sociaux dans leur double dimension : verticale, c’est à dire le degré d’intégration à la société globale et horizontale, à savoir les sentiments de solidarité propre à un groupe social. L’émergence de mouvements sociaux est très probable si deux conditions sont réunies : l’existence de groupes solidaires et organisés, un défaut d’intégration à la société globale.

Le modèle politique de Charles Tilly

Spécialiste d’histoire sociale, cet auteur américain entend établir un pont entre la théorie politique et l’histoire. Il est considéré comme le principal représentant de la théorie du conflit politique. Voyant dans la tradition marxiste une importante contribution à l’histoire de l’action collective, il lui emprunte des outils d’analyse : rôle des intérêts, du degré d’organisation, des conflits pour le pouvoir. Mais il souligne aussi l’importance de la rationalité, du calcul dans les choix individuels et dans la mise en oeuvre de l’action collective.

Son approche prend en compte :

1. le niveau général, celui du système politique : toute action collective, toute mobilisation (y compris les manifestations de violence et la révolution) s’insèrent dans un processus politique de lutte pour le pouvoir. Le conflit politique est donc central. Il oppose des groupes qui, membres du système, accèdent facilement aux ressources dont disposent le gouvernement et son appareil de coercition, et des groupes challengers qui veulent accéder au pouvoir.

2. le niveau du groupe dont il analyse le modèle de la mobilisation : quelle en est la structure interne ? Quels sont les facteurs susceptibles de faire le pont entre les intérêts partagés et l’action collective, le degré d’organisation caractéristique de l’identité du groupe et de la densité de ses réseaux internes ? Quelles sont les relations qu’il établit avec d’autres groupes et le gouvernement ? Comment celles-ci peuvent renforcer ou affecter le niveau des chances de réussite de l’action collective ? En quoi ces relations ne sont pas une donnée fixe mais résultent d’un rapport de forces qui modifie constamment la structure des coûts et avantages de la mobilisation ?

Tilly dans La France conteste de 1600 à nos jours (1986) fournit de très riches matériaux pour illustrer son approche qu’il résume ainsi: “ La contestation s’explique par la conjugaison d’intérêts, d’une occasion, d’une organisation et d’une action. Elle est donc construite socialement et historiquement. Les formes d’organisation, les pratiques de l’action collective s’enracinent dans les pratiques et l’organisation de la vie quotidienne ”.

La fécondité reconnue des travaux de cet auteur trouve cependant des limites liées au primat du politique ; en effet, de nombreux mouvements sociaux contemporains ne relèvent pas d’une analyse en terme de conflits dont le seul enjeu serait le pouvoir.

Pour conclure sur le paradigme de la mobilisation des ressources, constat peut être fait qu’il a introduit une rupture avec les approches psychologisantes et qu’il a permis d’intégrer à l’analyse des mouvements sociaux l’importance de la dimension stratégique, d’accorder toute sa place à l’organisation, de montrer que les mouvements sociaux doivent être analysés dans leur contexte, c'est à-dire en prenant en compte leur environnement et la structure des opportunités de l’action collective.

Ce paradigme n’invalide pas pour autant certains apports des approches en termes de comportements collectifs dont celle de Marx qui occupe une place toute particulière dans les approches de l’action collective et introduit bien avant les théoriciens des nouveaux mouvements sociaux la dimension de l’historicité.

En effet, dans l’analyse des comportements collectifs, le modèle classique demeure celui de Marx. Le soubassement de ce modèle est bien sur son analyse des classes et de la conscience de classe. Marx construit son explication de la formation d’une action collective autour d’une approche séquentielle :

en premier lieu l’existence d’intérêts communs fondés sur une situation matérielle commune de classe, en second lieu la prise de conscience de ces intérêts communs et enfin l’action collective. Pour rendre compte du processus d’action collective, Marx prend en compte trois éléments : d’une part, la composante historique, c'est à dire le fait que le contexte économique, technique et social s’inscrit dans un moment historique ; d’autre part, la composante structurale, la nature des rapports sociaux de production et l’évolution des forces productives fondent l’antagonisme d’intérêts sociaux ; enfin, la composante des motivations à agir des individus, qui peut être apparentée à une théorie de la frustration. Mais si la réunion de ces trois éléments est nécessaire à l’éclosion de luttes sociales, elle n’en est pas pour autant suffisante à son développement. L’action collective ne peut se construire sans prise de conscience. La conscience se nourrit de la formation même d’organisations de classe que nécessite la lutte pour des intérêts spécifiques ou un projet plus global de transformation sociale. Loin d’être l’auteur déterministe qu’on a souvent présenté, Marx a une approche possibiliste du comportement collectif fondé sur la lutte des classes. Il y a place pour le jeu de la volonté politique et le rôle des individus dans l’action collective et plus généralement le déroulement de l’histoire.

L’analyse marxiste a donc fondé une tradition d’analyse qui met en évidence l’importance d’un mouvement historique qui, pour la période contemporaine, se rapporte au mouvement ouvrier. Mais à partir des années 70, le mouvement ouvrier décline et surgissent des mouvements d’un type nouveau, à caractère inter-classistes, principalement centrés sur l’écologie, le féminisme, le régionalisme, marqués par de nouveaux modes d’action et une pratique fortement participationniste des acteurs. Ceux-ci autour de thèmes mobilisateurs et de solidarités vécues tendent à se forger des identités collectives. Cette situation va engendrer une tentative de renouvellement de l’analyse en termes de mouvements sociaux où l’historicité n’est plus appuyée sur la classe ouvrière.

 

3. Explications fondées sur l’analyse des nouveaux mouvements sociaux.

Un courant contemporain cherche à expliquer l’apparition de nouveaux enjeux et de mouvements sociaux spécifiques par des changements qui surviennent au niveau culturel. Ceux-ci se caractériseraient par l’émergence de valeurs post-matérialistes. “ Les populations de l’Ouest, écrit Inglehart, sont passées des valeurs exclusivement matérielles de bien-être et de sécurité physique à la qualité de la vie ”.

 

L’analyse des nouveaux mouvements sociaux chez Alain Touraine

A. Touraine limite l’étendue des mouvements sociaux aux conflits qui procèdent des rapports de classes. Le mouvement social est “ action collective organisée par laquelle un acteur de classe lutte pour la direction sociale de l’historicité dans un ensemble historique concret ”.

En sont exclus les simples groupes de pression ou les regroupements qui opèrent à l’intérieur d’une organisation en crise. Le mouvement social majeur de la société industrielle est naturellement le mouvement ouvrier qui est clairement l’expression d ’ “ une action collective orientée vers le contrôle ou la transformation du système d’action historique ”. La classe populaire-ou ouvrière-est à la fois dirigée aux niveaux culturel et politique et dominée économiquement. La prise de conscience de cette aliénation produit le mouvement social.

 

Trois éléments sont nécessaires à l’émergence d’un mouvement social : un acteur de classe, un adversaire de classe et un enjeu. Par sa conscience de lui-même, l’acteur affirme le principe d’identité. Mais il existe face à un autre acteur, l’adversaire qu’il peut nommer, d’où le principe d’opposition. Le mouvement social se construit autour d’un contre-projet de domination : c’est le principe de totalité. La société industrielle disposait ainsi d’un système de relations entre mouvement ouvrier et patronat. Les deux adversaires s’accordent sur le principe de totalité (les bienfaits du progrès liés à l’industrialisation), s’opposent sur l’organisation de la production et sur la répartition et affirment par là-même des identités propres.

 

En tant que théoricien de la société post - industrielle, A. Touraine considère que de nouveaux mouvements sociaux surgissent à partir de la fin des années 60 ; les enjeux se déplacent de la production vers la culture. C’est pourquoi il va se pencher successivement sur la diversité des mouvements, en particulier : le mouvement étudiant de 1968, le mouvement antinucléaire, le mouvement solidarité en Pologne, le mouvement occitan, le mouvement féministe, voire le contre-mouvement social que constitue le Front National…

 

Pour Alain Touraine : “ Les anciens mouvements sociaux propres à la société industrielle se sont transformés en idéologie, en rhétorique et même en instruments de gouvernement. Le long déclin du syndicalisme ouvrier, parfois incorporé par des méthodes corporatistes à l’appareil de l’Etat, parfois limité à un rôle de partenaire social, parfois encore transformé en bureaucratie policière au service de régimes autoritaires, détourne beaucoup de l’étude des mouvements sociaux. Les efforts des groupes gauchistes au cours des années 70 pour traduire, dans un langage ouvriériste et révolutionnaire périmé, des demandes et des contestations nouvelles, aggrava le désintérêt. Mais il est temps de sortir intellectuellement autant qu’économiquement de ce que l’on a nommé la crise et de reconnaître que, des longues mutations en cours, émerge une société dont il faut reconnaître les acteurs, les enjeux, les formes d’action collective, les mécanismes institutionnels et les formes d’organisation sociale ”. Touraine construit une typologie de l’action collective où sont présents le mouvement culturel, le mouvement social et le mouvement historique.

 

L’interrogation sur ce paradigme porte sur la réelle nouveauté de ces NMS (des phénomènes comparables ont surgi dans d’autres périodes de mutations culturelles) et sur le bien-fondé d’en établir la primauté par rapport aux mouvements sociaux traditionnels et les conflits du travail qui sont loin d’avoir disparu.

 

Conclusion

Cette revue rapide des grandes théories sociologiques qui se sont plus appesanties sur l’analyse des actions collectives ne doit naturellement pas induire un cours sur ces théories en ECJS. Mais en étudiant telle ou telle action collective comme expression de la citoyenneté contemporaine, le professeur pourra trouver dans ces différentes théories des matériaux plus élaborés permettant de fonder certains aspects du travail de la classe.

 

Bibliographie

FILLEULE O., Sociologie de la protestation, L’Harmattan, 1993.

GROUX G., Le Conflit en mouvement, Hachette, 1996.

LAFARGUE J., La Protestation collective, Nathan, 1998.

NEVEU E., Sociologie des nouveaux mouvements sociaux, La Découverte, 1996.


   

 

courrier électronique        

                      site optimisé pour une  résolution graphique de: 800*600 

actualisé le 13/09/00