THEME 4 : 
EXERCICE DE LA CITOYENNETE ET DEVOIRS DU CITOYEN

Fiche exemple 3.
 Sécurité routière et citoyenneté

 

Problématique

Avec plus de 8000 morts sur les routes, la France constitue une triste et choquante exception parmi ses plus proches voisins européens. Or plus de 90% de ces accidents ont, à leur origine, le non respect du code de la route, c’est à dire de la loi.

 

Les jeunes paient à cet anti-record un tribut particulièrement élevé ; ils sont aussi ceux par qui le renversement de la tendance doit passer. Enclins à voir dans la réglementation propre à la route, qui les concerne plus que bien d’autres réglementations, une atteinte particulièrement agressive à leur liberté, tentés par une véritable compétition dans l’infraction dans laquelle ils trouvent-ou croient trouver-des moyens d’affirmation de leur identité, leur réflexion sur ce sujet ne peut pas être ordinaire et réduite à l’acceptation d’une soumission qui ne serait que fragile vernis.

 

La sécurité routière et les devoirs qui s’y rattachent constituent donc un sujet particulièrement intéressant à confronter au concept de citoyenneté si on prend le pari de la hardiesse : au rôle passif d’objet de droit justifiant souvent sa révolte par l’excès des réglementations, il faut substituer, selon la méthode de l’E.C.J.S., une appropriation du problème par l’élève et susciter sa réflexion ; elle peut se concrétiser dans des propositions à mettre en débat, attestant de ce que l’approche participative prend bien le pas, en E.C.J.S., sur l’approche normative.

 

Ce sujet doit permettre de mieux comprendre le sens du droit, mais aussi l’existence de limites rencontrées aux frontières des différents droits : conflits entre l’individuel et le collectif, le local et le national (voire l’international). Il peut aussi établir un lien entre les notions de civilité/incivilité du programme de la classe de seconde auxquelles on réduit parfois les comportements en matière de sécurité routière et les notions constitutives du programme de la classe de première : pouvoir, légitimité, représentation, droits et devoirs, etc.

 

Lié à un champ d’application marqué par une évolution rapide des technologies, particulièrement motivante pour les jeunes, il est favorable à leurs réflexions sur le sens de la règle de droit, son usage, son vieillissement, son adaptation.

 

Démarche

1. La première étape doit sans doute être celle de la prise de conscience. Elle peut être conduite à travers des enquêtes de proximité sur les accidents de la route survenus dans l’agglomération, le canton, le département au cours d’une période récente. Il s’agit d’en mesurer le nombre et l’impact social. Une telle enquête peut utilement s’appuyer sur des informations sollicitées auprès d’administrations : préfecture, police ou gendarmerie, tribunaux ... Elle permet de dresser un tableau des principales causes d’accident repérées et de les analyser au regard du code de la route. Il conviendrait d’y associer une évaluation des coûts passés, présents et à venir (prise en charge médicale ou chirurgicale, incapacité de travail, indemnités) en veillant à ce que les élèves dépassent l’anonymat de l’indemnisation par les assurances privées ou publiques.

 

2. La deuxième étape pourrait être centrée sur l’approche juridique : examiner les réglementations qui n’ont pas été respectées dans les accidents, vitesse, règles de priorité, règles d’entretien du véhicule, port de la ceinture ou du casque, état d’imprégnation alcoolique du chauffeur, etc. On met alors en évidence en quoi la réglementation, quoi qu’il en paraisse, cherche d’abord à libérer l’individu et la société des risques inhérents à la coexistence qu’implique toute vie sociale. Les contraintes ne sont pas l’objectif premier de la réglementation. On peut analyser ensuite les raisons probables du non respect de la réglementation qui ont conduit à l’accident : ignorance, distraction, fatigue, âge, défi, volonté de s’imposer, recherche d’un accroissement de la productivité, recherche d’un statut social, d’une image, d’un pouvoir ... On peut faire réfléchir les élèves sur l’adéquation entre réglementation et comportement.

 

3. Une troisième étape pourrait conduire à s’interroger sur l’aspect plus ou moins accidentel de l’événement observé : lorsqu’on réunit au préalable un grand nombre des conditions de sa réalisation, peut-on encore le qualifier d’accident ? Ce pourrait être l’occasion d’une réflexion sur l’application au code de la route de la notion juridique de préméditation. Si on peut considérer qu’elle est actuellement implicite à l’encontre de quelqu’un qui prend le volant sous l’emprise de l’alcool ou de celui qui n’adapte pas sa vitesse dans un épais brouillard, le droit ne devrait-il pas l’expliciter comme elle l’est en droit criminel et mettre en avant que certains comportements sont constitutifs d’une véritable préméditation. Rechercher des comportements pouvant relever de cette démarche peut constituer un exercice intéressant et donner matière à des débats argumentés. Il ne serait pas sans intérêt de s’interroger sur l’attitude à retenir, dans une perspective pédagogique, vis à vis de comportements apparemment anodins et sans conséquence majeure, mais clairement qualifiables de prémédités : arrêter son véhicule en double file, feux de détresse allumés pour aller acheter son journal ou ses cigarettes. Frapper très lourdement de tels comportements (retrait de permis de conduire pour une durée de plusieurs mois) et ne pas réserver ces sanctions lourdes à des événements complexes où les responsabilités sont plus difficiles à démêler ne serait-il pas signifiant ? C’est aussi un thème de débat que l’on peut proposer.

 

4. Une quatrième étape pourrait être construite autour de l’attitude choquante des délinquants routiers qui, bien souvent, se prétendent eux-mêmes victimes ; il importe qu’aucun fondement ne soit offert à cet argument. Conduire l’élève à réfléchir à ce problème, c’est souvent l’amener à prendre conscience du vieillissement du droit et des méfaits de sa sédimentation qui peut le rendre de moins en moins opérationnel : par exemple, ce qui n’est qu’ennuyeux pour la législation sur les murs mitoyens peut se révéler catastrophique en matière de sécurité routière ; c’est aussi le confronter aux difficultés de la modernisation du droit, du fait notamment des partages de compétences entre les divers niveaux de l’administration ; c’est enfin lui proposer de réfléchir à l’apport que les technologies les plus récentes peuvent constituer pour aider à la mise en oeuvre du droit. Quelques thèmes sont suggérés ici, à titre d’exemples, pour montrer que la démarche d’appropriation, caractéristique de l’E.C.J.S. avec la mobilisation de savoirs de diverses origines, révèle son utilité

 

Pour être respectée, une réglementation doit être respectable, c’est à dire utile, simple, et immédiatement saisissable. Est-ce toujours le cas en matière routière ? On pourrait ainsi suggérer de s’interroger sur le nombre des paliers de vitesse réglementée : n’y aurait-il pas intérêt à les ramener à un petit nombre, quatre en l’occurrence (50, 90, 110, 130), éradiquant alors de nos routes tout autre niveau en la matière ? En contrepartie, pour que nul ne puisse , comme c’est si souvent le cas aujourd’hui, arguer de l’imprécision de la réglementation pour justifier son infraction, pourquoi ne pas faire correspondre à chacun de ces paliers une couleur de la signalisation au sol ou verticale ? Ainsi, comme depuis quelques années le jaune est associé à des travaux et le pavage aux centres piétonniers, d’autres couleurs le long des voies ou sur les mâts des poteaux indicateurs pourraient accompagner en continu les zones urbaines (V=50), routières (V=90), à quatre voies (V=110) et autoroutières (V=130), permettant au conducteur scrupuleux de connaître à tout instant sa vitesse de référence et interdisant au délinquant de plaider ignorance et bonne foi, tout en amenant les pouvoirs publics à un ménage parfois bien nécessaire parmi les panneaux obsolètes. Sur la base d’un tel exemple mis en discussion, l’E.C.J.S. pourrait solliciter réflexion et imagination participative à l’avancée de la sécurité.

 

Pour s’approprier un tel sujet, les élèves doivent en effet l’enrichir à partir de ce qui les passionne ; c’est souvent le cas des technologies les plus modernes. Trop souvent, elles se réduisent à la recherche de la vitesse, depuis la puissance des moteurs jusqu’à l’apparition récente des aides à la navigation, censées permettre de rallier plus vite sa destination. Pourquoi ne pas faire réfléchir les élèves à propos de ces applications à sens unique ? Ces nouvelles technologies ne peuvent-elles avoir comme objectif que la vitesse, renforçant leur antinomie avec la réglementation ? En fonction de leurs savoirs, des élèves plus intéressés par la technologie, la sociologie ou des pratiques professionnelles, peuvent être invités à imaginer et à débattre ensuite de la crédibilité et du caractère opérationnel de leurs propositions. Un exemple peut clarifier cette suggestion en direction d’une approche à dominante technologique. Si les ingénieurs ont sans doute raison de dire que brider les moteurs rendrait les voitures moins sures, les ordinateurs de bord permettent aujourd’hui de disposer d’un signal de dépassement de la vitesse imposée. Pourquoi ne pas rendre cet équipement obligatoire ? Peut-on le concevoir simple à mettre en oeuvre ? Avec quatre paliers de vitesse, on serait bien proche des taxis et de leurs trois zones tarifaires : ainsi, de même qu’on aperçoit à peine ces chauffeurs effleurer les touches A, B ou C pour régler leur compteur, le conducteur pourrait disposer de quatre touches à portée de sa main pour régler son signal d’alerte sur le cadre dans lequel il évolue. Ce serait un des intérêts d’un nombre réduit de paliers de vitesse réglementée ; cela conduirait aussi, en bonne logique, à considérer que celui qui décide de ne pas activer l’aide disponible tombe, en cas d’infraction, en situation de préméditation.

 

Pour être réaliste et motivante, une telle approche de la sécurité routière ne doit pas s’interdire d’être critique. Ainsi, de tous ces morts, 90 % perdent la vie sur les routes contre 10 % sur autoroutes : cela invite à la réflexion quand le choix est possible. Mais quels sont les fondements de ce choix ? Pour certains, ce sera le coût et cela suscite deux observations:

- Comment ne pas être choqué que celui qui veut évaluer ce coût avant de prendre sa décision bénéficie d’une réglementation qui veut qu’il soit informé par affichage du prix des carburants (achat très improbable sur un trajet de quelques dizaines de kilomètres), mais qu’il ne puisse pas connaître, avant d’être irréversiblement engagé entre les barrières, le montant du péage qu’il aura à acquitter ? - Et plus fondamentalement peut-être, si l’autoroute est à ce point gage de meilleure sécurité, son accès peut-il être l’objet d’une sélection par l’argent à travers le péage ? Il y aurait encore là matière à débats argumentés, dans lesquels les coûts de l’insécurité routière et ceux des infrastructures pourraient être confrontés.

 

5. Une dernière étape est incontournable pour ancrer solidement ce thème dans l’esprit de l’E.C.J.S. et l’apprentissage de la citoyenneté : faire une place à l’espoir et le débat s’ouvrira naturellement ici sur ce que chacun espère, sauf à croire que 8000 morts sont le prix accepté pour pouvoir poursuivre dans les comportements actuels. Que peut-on donc espérer au-delà de la réduction radicale de ce carnage ? Beaucoup regardent vers le modèle allemand, réputé être celui de la non limitation de la vitesse et en faire un idéal à atteindre. Le projet est recevable à condition d’être démystifié. Cette perception de nos voisins est théorique et caricaturale : en Allemagne, la liberté de la vitesse est le principe et son existence de plus en plus l’exception ; à l’encontre de quelques centaines de kilomètres d’autoroute qui l’illustrent, la quasi totalité du réseau routier allemand est couverte de limitations générales (routes) ou ponctuelles (autoroutes). Il conviendrait donc de se demander si c’est d’afficher le principe de la liberté qui est signifiant, ce à quoi nos voisins semblent particulièrement attachés. Mais il faut aussitôt ajouter que ce peuple mérite l’option ainsi prise : le prix de cette liberté, même largement théorique, c’est qu’ils obéissent, au mètre près, aux injonctions de la signalisation.

 

Atteindre ce niveau de discipline pourrait-il constituer un idéal et un projet ? Quel lien cela aurait-il avec les éléments constitutifs de la citoyenneté ? La confrontation suggérée ici avec l’Allemagne pourrait évidemment être mise en oeuvre avec d’autres références.

Le choix de ce sujet devrait être conditionné par l’ambition d’une contribution forte des élèves dans une dynamique de proposition. Tel est le statut des exemples proposés dans cette fiche : ils ne prétendent à aucune dimension normative mais seulement à constituer la preuve que le sujet des devoirs, face à une situation sociale aussi dramatique, peut, plus que d’autres, inciter à une appropriation par les élèves mobilisant des savoirs diversifiés selon le type d’enseignement dans lequel ils sont engagés.


 

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actualisé le 13/09/00