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THEME 4 : Fiche ressource 2. Exclusion et devoir de solidarité Position
du problème La
période dite des "Trente Glorieuses" de 1945 à 1975 a pu laisser
croire que la pauvreté allait régresser partout. Le plein emploi et le progrès
social devaient assurer le bien-être de tous. L'Etat providence était chargé
de corriger les inégalités les plus flagrantes. La crise économique, qui a
pris de l'ampleur à partir de 1975, a fait resurgir avec une grande intensité
la question de l'exclusion sociale. Celle-ci appelle de nouvelles réponses au
nom du devoir de solidarité. L'exclusion
et la solidarité : deux notions ambiguës Les
notions très médiatisées de solidarité et d'exclusion sont des notions
passe-partout aux contours fluctuants et entachés d'ambiguïté. En faisant
appel indirectement aux définitions de la pauvreté, de la souffrance sociale
et de la "société duale", elles renvoient à une série de bonnes
intentions, au risque d'entraîner une confusion entre la compassion et
l'analyse. Aussi doivent-elles être regardées avec la plus grande
circonspection. La
part des représentations est considérable dans l'approche de l'exclusion et
de la solidarité. Bien souvent, les individus qu'on qualifie à distance
d'exclus ne se définiraient jamais eux-mêmes de cette manière. D'extension
très large, la notion d'exclu peut renvoyer à un état, ou plutôt à une
forme privative d'état, c'est-à-dire à la non-inclusion dans un groupe ou
dans un statut, ou à la non-possession d'une qualité ou d'un état. Mais
elle peut renvoyer aussi à un processus qui conduit à la mise à l'écart,
à l'éviction, ou tout simplement au déni. Tant
que l'exclusion énonce un état au regard d'une attente, elle apparaît comme
une catégorie descriptive de la réalité sociale. Mais quand on utilise la
notion de manière globale pour rendre compte de la distribution des places et
des rôles dans la société, on lui accorde un pouvoir explicatif qui est démesuré.
Le terme même de société duale qui incite à distinguer les inclus des
exclus, comme s'il y avait un centre et une périphérie dans une société,
est beaucoup trop simplificateur. Les sociétés contemporaines ont des
fonctionnements complexes qui nécessitent pour leur compréhension des
analyses fines, étayées d'entretiens multiples et de statistiques utilisées
à bon escient. Plaquer
des mots qui semblent généreux sur des processus en cours, en évitant de
chercher leur origine, ne favorise pas la connaissance objective des réalités
vécues. C'est au contraire en démontant le fonctionnement d'une société
que l'on peut comprendre pourquoi certains individus ou certains groupes sont
marginalisés. À
l'origine de la marginalité sociale Les
processus qui conduisent à la marginalisation d'individus ou de groupes
entiers dépendent de facteurs de vulnérabilité spécifiques. Les plus
importants sont la faiblesse de la qualification professionnelle qui est
elle-même très souvent liée à l'absence de diplômes ; l'âge, puisque les
populations les plus touchées ont plus de cinquante ans et moins de trente
ans ; le sexe également, puisque l'on observe une vulnérabilité plus forte
des femmes, notamment de celles qui vivent seules avec un ou plusieurs enfants
à charge. L'exclusion
résulte la plupart du temps d'une double rupture : la première trouve son
origine dans la perte de l'emploi et des protections élémentaires qui y sont
associées, la seconde provient de la mise en question des anciennes relations
sociales et familiales : rejet des amis, divorce, séparation d'avec les
enfants, etc. La fragilité psychologique qui résulte de la solitude peut être
aggravée par la perte de revenu. Le sentiment de déclassement conduit
parfois à une attitude d’évasion : le chômeur se définit en creux, comme
s'il avait perdu toute fonction sociale, comme s'il était devenu inutile au
monde et sans espace de référence. L'État
a pris de nombreuses mesures pour essayer de résoudre cette situation (RMI,
augmentation des autres minima sociaux, aides aux associations caritatives,
etc.), mais il est évident qu'elles ne sont pas suffisantes. Au-delà des cas
individuels, la Commission nationale de développement social des quartiers,
puis le ministère de la ville ont développé de multiples initiatives en
faveur des quartiers sensibles. Cette politique s'appuie sur le principe de
discrimination positive : il s'agit de faire plus pour ceux qui ont le moins.
Mais ce principe qui se fonde sur une spatialisation précise de la pauvreté
peut renforcer la stigmatisation des quartiers désignés et avoir des effets
contraires à ceux qui sont recherchés. Dans une ville qui se fragmente, les
solutions ne sauraient être simples. Le
devoir de solidarité La
notion de solidarité est utilisée pour rendre compte de situations diverses,
celles-ci renvoyant en général à la souffrance individuelle ou aux
difficultés sociales et à la nécessité d'y porter remède. On dit souvent
que la solidarité peut seule réduire la fracture sociale, comme si elle
avait le pouvoir de rappeler les hommes à plus d'exigence morale... Le
terme, issu du latin "solidus" (consistant, massif, solide), apparaît
au 15ème siècle ; il appartient alors au vocabulaire juridique et désigne
ce qui est commun à plusieurs, chacun répondant du tout. L'adjectif
"solidaire" se dit des parties d'un tout qui sont interdépendantes
; il peut s'appliquer aux choses, aux contrats et aux personnes. La solidarité
de fait désigne par exemple la relation d'un ensemble d'individus interdépendants.
Par extension, la solidarité désigne l'obligation ou le sentiment
d'obligation à l'égard de ceux avec lesquels nous nous trouvons dans des
rapports d'interdépendance. Cette solidarité de fait entraîne un devoir de
solidarité, appelé aussi solidarité tout court. Chronologiquement, la
solidarité prise dans son acception la plus large d'aide entre individus, se
conjugue avec l'histoire de la pauvreté. En Occident, la charité chrétienne
sera pendant plusieurs siècles le principal vecteur de la solidarité. Au 18ème
siècle, les philosophes des Lumières donnent un sens nouveau à la solidarité.
La Révolution française la place au rang des valeurs républicaines et la
Constitution de la Deuxième République en assure la consécration en 1848 :
"Les citoyens doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant
fraternellement les uns les autres". La loi du 1er juillet 1901 qui
autorise les associations crée un cadre légal favorable à la mise en oeuvre
d'une solidarité organisée en dehors de l'État. Néanmoins, le principe
d'une solidarité nationale est renforcé à partir du milieu du 20ème siècle
avec la formation de l'État providence. La crise des années 1970-1990
augmente encore la demande de solidarité. Aujourd'hui,
la vitalité des associations semble un bon indicateur de la solidarité
sociale. Plus proches des individus et prenant en compte des situations que l'État
ne peut gérer, ces associations témoignent de l'implication des citoyens
dans la vie de la cité et, par conséquent, de la démocratisation de la société.
Mais elles ne doivent pas faire perdre de vue la solidarité élémentaire qui
s'exprime dans les sociétés modernes sous couvert du devoir fiscal. L'impôt
contribue par exemple au financement des grands services publics. De
manière globale, le ministère de l'emploi et de la solidarité a mis en
oeuvre depuis plusieurs années une politique ayant pour but de développer la
solidarité. Dans les années 1980, un contrat, dit contrat emploi-solidarité,
a été instauré pour favoriser l'insertion ou la réinsertion des chômeurs.
L'allocation dite de solidarité spécifique à destination principale des chômeurs
ayant épuisé leurs droits constitue un autre exemple. En juillet 1998, le
Parlement a voté la loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions. Cette loi vise à améliorer la situation des plus démunis,
notamment en matière de santé et d'hébergement. Le système de couverture
maladie universelle a été mis en place en 1999. Enfin,
à partir du mois de février 2000, le projet de loi relatif à "la
solidarité et au renouvellement urbain" (dit SRU) présenté par le
ministre de l'équipement et des transports, est examiné par les députés.
L'article 25 inscrit l'obligation faite à chaque commune d'avoir sur son
territoire au moins 20% de logements sociaux au nom de la solidarité et de la
lutte contre les ségrégations urbaines. Bibliographie CASTEL
R., Les Métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995. CHAPUIS
R., La Solidarité, l'éthique des relations humaines, PUF, coll. “
Que sais-je ? ”, n° 3485, 1999. DELARUE
J.-M., Banlieues en difficultés : la relégation, Syros Alternatives,
1991. DONZELOT
J. (dir.), Face à l'exclusion, le modèle français, éditions Esprit,
1991. “ Familles, Solidarité, Sociabilité ”, Fondations, n°7,
1999. MESSU
M., “ L'Exclusion, une catégorisation sans objet ”, Genèses, n°
27, juin 1997. PAUGAM
S. (dir.), L'Exclusion, l'état des savoirs, La Découverte, 1996. XIBERRAS
M., Les Théories de l'exclusion, Méridiens Klincksieck, 1993.
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