Hier
après-midi, la bibliothèque de Jurançon a accueilli le réalisateur
Eugène Green, avec qui nous avons pu discuter en dehors
d'une salle de cinéma. Lundi dernier, il nous a présenté
son dernier court-métrage Les Signes et il nous en a reparlé
le temps de cette rencontre. Nous avons constaté que l'art
baroque a marqué sa façon de vivre, de penser, et de s'exprimer
et cette esthétique se retrouve dans ses oeuvres. C'est
un personnage très cultivé et qui défend une conception
du cinéma à laquelle il accorde une très grande importance.
Il a été récompensé par le prix Louis Delluc pour son film
Toutes les nuits. Il nous est apparu comme un artiste
vraiment à part.
Quelles
sont vos origines? D'où venez-vous?
Né aux Etats-Unis que je considère comme une terre
" barbare ", je ne me reconnais pas dans cette civilisation
que je juge sans langue. J'essaie très vite de m'en éloigner;
donc, après un passage au Royaume-Uni, j'ai découvert la
langue française, et j'avais l'impression de l'avoir déjà
connue auparavant. Contrairement à ce qui a été dit, je
n'ai jamais fait d'études de philosophie ni de peinture,
il me semble avoir passé un diplôme d'histoire des arts
et de lettres grâce auquel j'ai pu rencontrer le philosophe
Louis Marin. J'ai fondé la compagnie dramatique du Théâtre
de la Sapience. Après cela, j'ai passé vingt années de ma
vie à des travaux de recherches à la bibliothèque nationale,
à lire et à voyager pour m'enrichir sur la civilisation
et le théâtre baroque. Cependant en 2001, à cause d'hostilité,
j'ai cessé cette initiative et je me suis consacré à l'écriture
d'un essai : La Parole baroque. Par la suite, je me suis
lancé dans des spectacles expérimentaux : monologues, récitals
dramatiques, poétiques et exercices de rhétorique en solo,
toujours dans un style baroque et j'ai animé des stages
et des ateliers au lycée Montaigne à Paris dans le but de
former des acteurs et des chanteurs. Enfin en 1990, j'ai
mis en scène La Place royale de Corneille. Je me suis lancé
dans le cinéma tardivement et j'ai alors réalisé un de mes
rêves d'enfant. Par ailleurs, lors d'une représentation
d'un de mes films au Méliès, j'ai reçu une aide pour les
courts métrages et j'ai décidé de revenir dans le Pays Basque
et le Béarn afin de tourner un film à Ciboure près de Saint-Jean
de Luz, car j'ai eu le coup de foudre pour cette région
et d'ailleurs j'ai commencé à apprendre le basque récemment.
Quel rôle la parole joue-t-elle dans le cinéma et le théâtre?
Pour moi tout part de la parole, c'est la base de la
condition humaine et toutes les formes d'expression en sont
issues. Chaque langue a sa propre conception du monde. Le
théâtre, ma première passion est pour moi une incarnation
du texte, de cette parole lieu de rencontre entre l'humain
et le divin. Selon moi, les artistes redonnent la dimension
spirituelle de la parole : en peinture avec le mouvement
impressionniste totalement opposé à une pensée matérialiste
et rationnelle, ensuite dans les mouvements littéraires
avec Rabelais, et en photographie. Le théâtre reconstitue
la parole; c'est un moyen de penser rationnellement et de
permettre une rencontre avec le sacré. Au cinéma, il s'agit
de captiver un mouvement et la parole; mais ce n'est pas
un résultat du progrès technique, car pour moi c'est une
nécessité de filmer une image qui reflète l'énergie. L'image
met en relief la parole, c'est une nouvelle façon de la
faire exister.
Il semble que le baroque prenne une place importante
dans votre vie, pourriez-vous nous expliquer si votre cinéma
est baroque?
Non, je ne pense pas car, selon moi, cela correspond
à un terme historique du 15ème et du 16ème siècle, qui associe
la littérature, la peinture. Au 17ème siècle, on en retrouve
des vestiges qui nous montrent que les gens pouvaient approuver
les découvertes scientifiques rationnelles tout en ayant
des croyances religieuses. C'est ce que l'on appelle l'oxymore
baroque, conception de l'art que j'approuve. Mon expérience
a fait que je n'ai pas eu une identité qui me correspondait
étant enfant. Le baroque mêlé au cinéma m'a aidé dans mes
choix filmographiques, en revanche je considère n'avoir
subi aucune influence. J'apprécie notamment le cinéma muet
avec les films de Chaplin, le cinéma européen qui m'a marqué
dans les années 50 à 80, et enfin le cinéma asiatique actuel
avec: La Fleur de Shanghai et La Vierge mise à nue. Pour
conclure, je dirais que mon cinéma n'est pas baroque mais
il s'en inspire et il est parfois mis en relief dans mes
réalisations.
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