1.
Prenez Versailles et mêlez-y Anvers
Au
rebours de la Loire, on n'a pas assez vanté Bordeaux, ou
du moins on l'a mal vanté. On loue Bordeaux comme on loue
la rue de Rivoli : régularité, symétrie, grandes
façades blanches et toutes pareilles les unes aux autres,
ce qui pour l'homme de sens veut dire architecture insipide, ville
ennuyeuse à voir. Or, pour Bordeaux, rien n'est moins exact.
Bordeaux est une ville curieuse, originale, peut-être unique.
Prenez Versailles et mêlez-y Anvers, vous avez Bordeaux. J'excepte
pourtant du mélange, car il faut être juste, les deux
plus grandes beautés de Versailles et d'Anvers, le château
de l'une et la cathédrale de l'autre. Il y a deux Bordeaux,
le nouveau et l'ancien. Tout dans le Bordeaux moderne respire la
grandeur comme à Versailles ; tout dans le vieux Bordeaux
raconte l'histoire comme à Anvers. Ces fontaines, ces colonnes
rostrales, ces vastes allées si bien plantées, cette
place Royale qui est tout simplement la moitié de la place
Vendôme posée au bord de l'eau, ce pont d'un demi-quart
de lieue, ce quai superbe, ces larges rues, ce théâtre
énorme et monumental, voilà des choses que n'efface
aucune des splendeurs de Versailles, et qui dans Versailles même
entoureraient dignement le grand château qui a logé
le grand siècle.
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