2.
Le vieux Bordeaux
Ces
carrefours inextricables, ces labyrinthes de passages et de bâtisses
cette rue des Loups qui rappellent le temps où les loups
venaient dévorer les enfants dans l'intérieur de la
ville, ces maisons-forteresses jadis hantées par les démons
d'une façon si incommode qu'un arrêt du Parlement déclara
en I596 qu'il suffisait qu'un logis fut fréquenté
par le diable pour que le bail en fut résilié de plein
droit, ces façades couleur amadou sculptées par le
fin ciseau de la Renaissance, ces portails et ces escaliers ornés
de balustres et de piliers torses peints en bleu à la mode
flamande, cette charmante et délicate porte de Caillau bâtie
en mémoire de la bataille de Fornoue, cette autre belle porte
de l'Hôtel-de-ville qui laisse voir son beffroi si fièrement
suspendu sous une arcade à jour, ces tronçons informes
du lugubre fort du Hâ, ces vieilles églises, St André
avec ses deux flèches, St Seurin dont les chanoines gourmands
vendirent la ville de Langon pour douze lamproies par an, Ste Croix
qui a été brûlée par les normands[,]
St Michel qui a été brûlée par le tonnerre,
tout cet amas de vieux porches, de vieux pignons et de vieux toits,
ces souvenirs qui sont des monuments, ces édifices qui sont
des dates, seraient dignes, certes, de se mirer dans l'Escaut comme
ils se mirent dans la Gironde, et de se grouper parmi les masures
flamandes les plus fantasques autour de la cathédrale d'Anvers.
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