Vous connaissez, mon ami, les trois points de la côte normande
qui m'agréent le mieux, le Bourg-d'Eau, le Tréport
et Etretat ; Etretat avec ses arches immenses taillées par
la vague dans la falaise, le Tréport avec sa vieille église,
sa vieille croix de pierre et son vieux port où fourmillent
les bateaux pêcheurs ; Ie Bourg-d'Eau avec sa grande rue gothique
qui aboutit brusquement à la haute mer. Eh bien ! Rangez
désormais Biarritz avec Tréport, Étretat, et
le Bourg-d'Eau, parmi les lieux que je choisirais pour le plaisir
de mes yeux, comme parle Fénelon.
Je ne sache point d'endroit plus charmant et plus magnifique que
Biarritz. Il n'y a pas d'arbres, disent les gens qui critiquent
tout, même le bon Dieu dans ce qu'il a fait de plus beau ;
mais il faut savoir choisir : ou l'océan, ou la forêt.
Le vent de mer rase les arbres.
Biarritz
est un village blanc à toits roux et à contrevents
verts posé sur des croupes de gazon et de bruyère,
dont il suit les ondulations. On sort du village, on descend la
dune, le sable s'écroule sous vos talons, et tout à
coup on se trouve sur une grève douce et unie au milieu d'un
labyrinthe inextricable de rochers, de chambres, d'arcades, de grottes
et de cavernes, étrange architecture jetée pêle-mêle
au milieu des flots, que le ciel remplit d'azur, le soleil de lumière
et d'ombre, la mer d'écume, le vent de bruit. Je n'ai vu
nulle part le vieux Neptune ruiner la vieille Cybèle avec
plus de puissance, de gaîté et de grandeur. Toute cette
côte est pleine de rumeurs. La mer de Gascogne la ronge et
la déchire, et prolonge dans les récifs ses immenses
murmures. Pourtant je n'ai jamais erré sur cette grève
déserte, à quelque heure que ce fût, sans qu'une
grande paix me montât au cur. Les tumultes de la nature
ne troublent pas la solitude.
Vous ne sauriez vous figurer tout ce qui vit, palpite et végète
dans ce désordre apparent d'un rivage écroulé.
Une croûte de coquillages vivants recouvre les roches ; les
zoophytes et les mollusques nagent et flottent, transparents eux-mêmes,
dans la transparence de la vague. L'eau filtre goutte à goutte
et pleut en larges perles de la voûte des grottes ; les crabes
et les limaces rampent parmi les varechs et les goëmons lesquels
dessinent sur le sable mouillé la forme des lames qui les
ont apportés. Au-dessus des cavernes croît tout une
botanique curieuse et presque inédite, l'astragale de Bayonne,
l'illet gaulois, le lin de mer, le rosier à feuilles
de pimprenelle, le muflier à feuilles de thym.
Il y a des anses étroites où de pauvres pêcheurs,
accroupis autour d'une vieille chaloupe, dépècent
et vident, au bruit assourdissant de la marée qui monte ou
descend dans les écueils, le poisson qu'ils ont pêché
la nuit. Les jeunes filles, pieds nus, vont laver dans la vague
les peaux des chiens de mer, et chaque fois que la mer blanche d'écume
monte brusquement jusqu'à elles, comme un lion qui s'irrite
et se retourne, elles relèvent leur jupe et reculent avec
de grands éclats de rire.
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