Carte    Texte intégral    
  
    Bordeaux      Les Landes      Bayonne et Biarritz
1. Prenez Versailles et mêlez-y Anvers
2. Le vieux Bordeaux

3. 
La Gironde et les Bordelaises
4. 
Bordeaux ville d'histoire
5. 
Le Bordeaux disparu
6. 
Le pont de Bordeaux
7. 
La cathédrale Saint-André
8. 
Plaidoyer pour la sauvegarde du patrimoine de Bordeaux
9. 
Les momies de Saint-Michel
10. 
La tour Saint-Michel
11. Les Landes ; les pins
12. 
Au-delà de Roquefort
13. 
Les sables des Landes
14. 
De Rochefort à Tartas
15. 
Les lièvres de Tartas
16. 
Le pont de Dax
17. Une maison sur le port de Bayonne
18. 
Une vue générale de Bayonne
19. 
La cathédrale de Bayonne
20. 
Vue de Biarritz
21. 
Les baigneuses de Biarritz
22. 
Une vision prophétique de Biarritz
23. 
De Bayonne à Biarritz, les aléas d'un touriste
24. 
Le château de Marrac, un épisode historique

21. Les baigneuses de Biarritz


Il y a des anses étroites où de pauvres pêcheurs, accroupis autour d'une vieille chaloupe, dépècent et vident, au bruit assourdissant de la marée qui monte ou descend dans les écueils, le poisson qu'ils ont pêché la nuit. Les jeunes filles, pieds nus, vont laver dans la vague les peaux des chiens de mer, et chaque fois que la mer blanche d'écume monte brusquement jusqu'à elles, comme un lion qui s'irrite et se retourne, elles relèvent leur jupe et reculent avec de grands éclats de rire.

On se baigne à Biarritz comme à Dieppe, comme au Hâvre, comme au Tréport ; mais avec je ne sais quelle liberté que ce beau ciel inspire et que ce doux climat tolère. Des femmes, coiffées du dernier chapeau venu de Paris, enveloppées d'un grand shall de la tête aux pieds, un voile de dentelle sur le visage, entrent en baissant les yeux dans une de ces baraques de toile dont la grève est semée ; un moment après, elles en sortent, jambes nues, vêtues d'une simple chemise de laine brune qui souvent descend à peine au dessous du genou, et elles courent en riant se jeter à la mer. Cette liberté, mêlée de la joie de l'homme et de la grandeur du ciel, a sa grâce.

Les filles de village et les jolies grisettes de Bayonne se baignent avec des chemises de serge souvent fort trouées sans trop se soucier de ce que les trous montrent et de ce que les chemises cachent. Le second jour que j'allai à Biarritz, comme je me promenais à la marée basse au milieu des grottes, cherchant des coquillages et effarouchant les crabes qui fuyaient obliquement et s'enfonçaient dans le sable, j'entendis une voix qui sortait de derrière un rocher et qui chantait le couplet que voici en patoisant quelque peu, mais pas assez pour m'empêcher de distinguer les paroles :

Gastibelza, l'homme à la carabine,
    chantait ainsi :
- quelqu'un a-t-il connu dona Sabine,
    quelqu'un d'ici ?
Dansez, chantez, villageois, la nuit gagne
    le mont Falu. -
Le vent qui vient à travers la montagne
    me rendra fou.

C'était une voix de femme. Je tournai le rocher. La chanteuse était une baigneuse. Une belle fille qui nageait vêtue d'une chemise blanche et d'un jupon court dans une petite crique fermée par deux écueils à l'entrée d'une grotte. Ses habits de paysanne gisaient sur le sable au fond de la grotte. En m'apercevant, elle sortit à moitié de l'eau et se mit à chanter sa seconde stance, et voyant que je l'écoutais immobile et debout sur le rocher, elle me dit en souriant dans un jargon mêlé de français et d'espagnol :

- Senor estrangero, conoce usted cette chanson ?
- Je crois que oui, lui dis-je. Un peu.
- Puis je m'éloignai, mais elle ne me renvoyait pas.

Est-ce que vous ne trouvez pas dans ceci je ne sais quel air d'Ulysse écoutant la sirène ? La nature nous rejette et nous redonne sans cesse en les rajeunissant, les thèmes et les motifs innombrables sur lesquels l'imagination des hommes a construit toutes les vieilles mythologies et toutes les vieilles poésies.
Somme toute, avec sa population cordiale, ses jolies maisons blanches, ses larges dunes, son sable fin, ses grottes énormes, sa mer superbe, Biarritz est un lieu admirable.