Carte    Texte intégral    
  
    Bordeaux      Les Landes      Bayonne et Biarritz
1. Prenez Versailles et mêlez-y Anvers
2. Le vieux Bordeaux

3. 
La Gironde et les Bordelaises
4. 
Bordeaux ville d'histoire
5. 
Le Bordeaux disparu
6. 
Le pont de Bordeaux
7. 
La cathédrale Saint-André
8. 
Plaidoyer pour la sauvegarde du patrimoine de Bordeaux
9. 
Les momies de Saint-Michel
10. 
La tour Saint-Michel
11. Les Landes ; les pins
12. 
Au-delà de Roquefort
13. 
Les sables des Landes
14. 
De Roquefort à Tartas
15. 
Les lièvres de Tartas
16. 
Le pont de Dax
17. Une maison sur le port de Bayonne
18. 
Une vue générale de Bayonne
19. 
La cathédrale de Bayonne
20. 
Vue de Biarritz
21. 
Les baigneuses de Biarritz
22. 
Une vision prophétique de Biarritz
23. 
De Bayonne à Biarritz, les aléas d'un touriste
24. 
Le château de Marrac, un épisode historique

Texte proposé par le lycée Villa Pia de Bayonne 22. Une vision prophétique de Biarritz


Je n'ai qu'une peur, c'est qu'il ne devienne à la mode. Déjà on y vient de Madrid, bientôt on y viendra de Paris. Alors Biarritz, ce village si agreste, si rustique et si honnête encore, sera pris du mauvais appétit de l'argent, sacra fames. Biarritz mettra des peupliers sur ses mornes, des rampes à ses dunes, des escaliers à ses précipices, des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes, des pantalons à ses baigneuses. Biarritz deviendra pudique et rapace. La pruderie, qui n'a dans tout le corps de chaste que les oreilles, comme dit Molière, remplacera la libre et innocente familiarité de ces jeunes femmes qui jouent avec la mer. Et puis il y aura cabinet de lecture et théâtre. On lira le journal à Biarritz ; on jouera le mélodrame et la tragédie à Biarritz. Ô Zaïre, que me veux-tu ? Le soir on ira au concert, car il y aura concert tous les soirs, et un chanteur en i, un rossignol pansu d'une cinquantaine d'années chantera des cavatines de soprano à quelques pas de ce vieil océan qui chante la musique éternelle des marées, des ouragans et des tempêtes.

Alors Biarritz ne sera plus Biarritz. Ce sera quelque chose de décoloré et de bâtard comme Dieppe et Ostende. Rien n'est plus grand qu'un hameau de pêcheurs, plein des mœurs antiques et naïves, assis au bord de l'océan ; rien n'est plus grand qu'une ville qui semble avoir la fonction auguste de penser pour le genre humain tout entier et de proposer au monde les nouveautés, souvent difficiles et redoutables, que la civilisation réclame. Rien n'est plus petit, plus mesquin et plus ridicule qu'un faux Paris.

Les villes que baigne la mer devraient conserver précieusement la physionomie que leur situation leur donne. L'océan a toutes les grâces, toutes les beautés, toutes les grandeurs. Quand on a l'océan, à quoi bon copier Paris ?

Déjà quelques symptômes semblent annoncer cette prochaine transformation de Biarritz. Il y a dix ans on y venait de Bayonne en cacolet ; il y a deux ans on y venait en coucou ; maintenant on y vient en omnibus. Il y a cent ans, il y a vingt ans on se baignait au port vieux, petite baie que dominent deux anciennes tours démantelées. Aujourd'hui on se baigne au port nouveau. Il y a dix ans, il y avait à peine une auberge à Biarritz ; aujourd'hui il y a trois ou quatre " hôtels ".

Ce n'est pas que je blâme les omnibus, ni le port nouveau où la lame brise plus largement que dans le port vieux et où le bain est par conséquent plus efficace, ni les " hôtels " qui n'ont d'autre tort que de n'avoir pas de fenêtres sur la mer ; mais je crains les autres perfectionnements possibles, et je voudrais que Biarritz restât Biarritz. Jusqu'ici tout est bien, mais demeurons-en là.