Je n'ai qu'une peur, c'est qu'il ne devienne à la mode. Déjà
on y vient de Madrid, bientôt on y viendra de Paris. Alors
Biarritz, ce village si agreste, si rustique et si honnête
encore, sera pris du mauvais appétit de l'argent, sacra
fames. Biarritz mettra des peupliers sur ses mornes, des rampes
à ses dunes, des escaliers à ses précipices,
des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes,
des pantalons à ses baigneuses. Biarritz deviendra pudique
et rapace. La pruderie, qui n'a dans tout le corps de chaste
que les oreilles, comme dit Molière, remplacera la libre
et innocente familiarité de ces jeunes femmes qui jouent
avec la mer. Et puis il y aura cabinet de lecture et théâtre.
On lira le journal à Biarritz ; on jouera le mélodrame
et la tragédie à Biarritz. Ô Zaïre, que
me veux-tu ? Le soir on ira au concert, car il y aura concert tous
les soirs, et un chanteur en i, un rossignol pansu d'une cinquantaine
d'années chantera des cavatines de soprano à quelques
pas de ce vieil océan qui chante la musique éternelle
des marées, des ouragans et des tempêtes.
Alors
Biarritz ne sera plus Biarritz. Ce sera quelque chose de décoloré
et de bâtard comme Dieppe et Ostende. Rien n'est plus grand
qu'un hameau de pêcheurs, plein des murs antiques et
naïves, assis au bord de l'océan ; rien n'est plus
grand qu'une ville qui semble avoir la fonction auguste de penser
pour le genre humain tout entier et de proposer au monde les nouveautés,
souvent difficiles et redoutables, que la civilisation réclame.
Rien n'est plus petit, plus mesquin et plus ridicule qu'un faux
Paris.
Les
villes que baigne la mer devraient conserver précieusement
la physionomie que leur situation leur donne. L'océan a toutes
les grâces, toutes les beautés, toutes les grandeurs.
Quand on a l'océan, à quoi bon copier Paris ?
Déjà
quelques symptômes semblent annoncer cette prochaine transformation
de Biarritz. Il y a dix ans on y venait de Bayonne en cacolet ;
il y a deux ans on y venait en coucou ; maintenant on y vient en
omnibus. Il y a cent ans, il y a vingt ans on se baignait au port
vieux, petite baie que dominent deux anciennes tours démantelées.
Aujourd'hui on se baigne au port nouveau. Il y a dix ans, il y avait
à peine une auberge à Biarritz ; aujourd'hui il y
a trois ou quatre " hôtels ".
Ce
n'est pas que je blâme les omnibus, ni le port nouveau où
la lame brise plus largement que dans le port vieux et où
le bain est par conséquent plus efficace, ni les " hôtels
" qui n'ont d'autre tort que de n'avoir pas de fenêtres
sur la mer ; mais je crains les autres perfectionnements possibles,
et je voudrais que Biarritz restât Biarritz. Jusqu'ici tout
est bien, mais demeurons-en là.
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